Lorsque Loïk Le Floch Prigent a déclaré sans réserve qu’ « il n’y a pas de justice au Togo, il y a un seul juge : Faure Gnassingbé », les partisans du fils d’Eyadèma avaient crié au scandale, traité l’ancien patron d’Elf Aquitaine avec la plus forte sévérité qui puisse exister. Curieusement, la dernière décision de la cour de justice de la CEDEAO indique clairement que la justice togolaise ne prend pas des décisions juridiques pertinentes mais plutôt des décisions orientées, tendancieuses, politiques pour tout dire. Le procureur Poyodi et ses collègues juges peuvent-ils se défendre avec réussite.? Pour eux, c’est plus qu’une humiliation de plus.
Rappelés à l’ordre, encore !
Sans doute le report à trois reprises du délibéré dans cette affaire était-un signe précurseur de ce que la décision devra être. Quand les juges de la haute cour communautaire se sont résolus à rendre leur verdict, ils font un camouflet à la justice togolaise. Des juges qui avaient piloté le procès en 2011 à ceux qui ont eu à rendre des décisions en instance d’appel et de recours, la cour dit qu’ils ont fait un travail terriblement mauvais.
Quand on considère par exemple la seule décision contenue dans le délibéré selon laquelle Kpatcha Gnassingbé et ses camarades d’infortune ont été privés d’un procès équitable deux années en arrière. Un procès équitable est un procès dans lequel les droits des prévenus sont systématiquement respectés. Dans le même sens, lorsqu’au cours d’un procès, on découvre que des prévenus ont été torturés, que les déclarations sur la base desquelles l’accusation et le procès ont été montés et conduits à terme ont été faites sous le coup de la torture, on sursoie à tout, annule la procédure et libère les prévenus. Kpatcha Gnassingbé et ses camarades d’infortune n’ont pas bénéficié de cette loi évidente des procédures judiciaires.
Bien que beaucoup avaient élevé les plaintes de torture durant les interrogatoires, bien que la commission d’enquête de la commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a établi sans l’ombre d’aucun doute l’effectivité de ces tortures, M. Pétchélébia avait hâtivement et maladroitement choisi de verser ces aspects au fond du dossier. L’histoire le ramène à l’ordre et à la raison. Les juges de la cour de justice de la CEDEAO ont décidé unanimement de dire aux juges togolais : « vous avez mal jugé le dossier ».
Une question logique : où les juges du Togo se forment-ils pour être incapables de voir ce que tout le monde voit et de prendre les décisions naturelles selon le contenu des dossiers qu’ils se voient confier ? La décision de la cour de justice de la CEDEAO est ainsi un énième camouflet à la justice togolaise en premier lieu, mais davantage au pouvoir de Faure Gnassingbé qui prouve de plus en plus que la manipulation, les trafics d’influence, le goût prononcé pour l’arbitraire et pour l’injustice sont ses signes diacritiques.
Un Etat indélicat
En 1992, une commission internationale d’enquête avait établi sans ambages que les auteurs et commanditaires de l’attentat du 5 mai à Soudou étaient des officiers et des hommes de troupe bien connus de feu Eyadèma. En dépit du fait que le président défunt avait donné son onction à la commission, il n’avait pas hésité à mettre en branle son dispositif national de démenti. A la télévision nationale, des groupes de jeunes gens défilaient pour dénoncer le travail de la commission d’enquête. Résultat : les auteurs du crime de Soudou n’ont jamais été inquiétés. Il en est de même des récentes décisions prises par la cour de justice de la CEDEAO.
En 2011, la cour avait conclu à la vérité que les neuf députés dissidents de l’UFC n’ont jamais démissionné, leur droit à réintégrer l’Assemblée Nationale n’a jamais été reconnu par le pouvoir de Faure Gnassingbé. Comme vingt ans en arrière, des groupes de missi dominici ont été lâchés dans l’opinion pour tenter de faire avaler la pilule qui voudrait que la cour n’a jamais demandé de réintégrer les députés arbitrairement exclus. Un autre exemple porte sur l’affaire d’escroquerie internationale. Agba Bertin et compagnie ont été arrêtés puis détenus des mois durant sans que jamais l’accusation portée contre eux n’ait été clairement établie. A un moment de la procédure, M. Agba a demandé et obtenu de la cour suprême la liberté provisoire sous caution. Décision remise en cause par le procureur et le gouvernement. Conséquence : M. Agba est resté en prison jusqu’à sa libération provisoire en mars de cette année. Curieusement, une plainte déposée par les avocats à Abuja aboutit à la même décision : les droits de M. Agba ont été violés.
Au total, on constate que le Togo de Faure Gnassingbé est un Etat indélicat. Dans plusieurs domaines, il brille par sa propension à l’arbitraire, à l’injustice et aux crimes. Le dossier des députés bannis par exemple fut une occasion pour le monde entier de découvrir une nouveauté dans les pratiques politiques. Que des députés régulièrement élus soient chassés d’une Assemblée par décision d’une cour constitutionnelle, ce fut une nouveauté que le monde entier a découverte. Le Togo de Faure Gnassingbé en a réussi l’exploit.
Dans ce dossier, le président de la cour constitutionnelle avait senti que la procédure était viciée et en avait fait au président de l’Assemblée nationale l’obligation de corriger le vice de procédure. Il n’en fut rien mais bizarrement il a validé la décision politique de punir des députés dont le seul péché est d’avoir désavoué l’« accord historique » entre Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio. Peut-il y avoir un Etat où autant de privations de droits sont infligées aux citoyens ?
A l’avènement au pouvoir de Faure Gnassingbé en 2005, beaucoup de gens ont cru, à tort maintenant, que le Fils travaillera à faire oublier les années de plomb imposées par le Père aux Togolais. Rêve de courte durée car très vite le président moderne a pris le virage dangereux de la conservation totale du pouvoir. Dans ce sens, tous les coups sont permis pour empêcher quiconque de le chasser du fauteuil que les Généraux lui ont donné gratuitement et gracieusement en 2005. Avec Faure Gnassingbé, le Togo est redevenu un pays de terreur où l’arbitraire, l’injustice et les violations des droits humains sont récurrents au point de devenir le quotidien des populations. Le Floch Prigent a dit ainsi une vérité indéniable : « au Togo, il n’y a pas de justice, le seul juge qui existe, c’est Faure Gnassingbé ».
Sursaut d’orgueil ?
Du coup, on peut supputer sur le prochain camouflet que la justice va recevoir de la cour de la CEDEAO. Les camouflets s’accumulent sans que malheureusement on se décide à changer les choses, sans que les juges comprennent que leur carrière est considérablement remise en cause par les décisions politiques qu’ils prennent dans les juridictions au lieu de dire exclusivement le droit. Seront-ils capables d’un sursaut d’orgueil ? Mieux, le pouvoir de Faure Gnassingbé lui-même peut-il avoir le bon réflexe d’aller à un sursaut d’orgueil en prenant la résolution d’en finir avec l’inféodation et la caporalisation des juridictions nationales ? C’est un choix à faire, c’est aussi un challenge si tant est que l’on veut changer l’image hideuse qu’on a donnée au pays à travers le fonctionnement orienté et tendancieux de la justice. Faure Gnassingbé peut-il relever ce défi ? La question est grande.
Nima Zara
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