Tuesday, July 9, 2013

TOGO « Blaise Compaoré même avait conseillé au pouvoir d’habiller au moins les choses »

« Blaise Compaoré même avait conseillé au pouvoir d’habiller au moins les choses »
 

 
Cette interview que nous vous reproduisons est de notre confrère burkinabè L’Observateur Paalga.
Après des mois et des mois de tension, vous avez finalement consenti à prendre le train électoral en marche. Qu’est-ce qui vous a finalement décidé ?
Votre expression « prendre le train électoral en marche » est un peu bizarre parce que nous avions appelé les citoyens à se faire enrôler, cela d’autant plus qu’en 2011 il y a eu un recensement démographique. Nous avons donc souhaité qu’il y ait un recensement général pour vérifier si le ratio population électorale/population globale correspondait aux standards internationaux. Maintenant, le reste du processus était subordonné, selon nous, à la tenue d’un dialogue national pour permettre de régler les problèmes pendants, notamment les réformes préconisées par l’Accord politique global (APG) de Ouaga conclu en 2006 sous l’égide du président Blaise Compaoré. Cet accord préconisait, rappelons-le, des réformes politiques et institutionnelles comme le nouveau découpage électoral qui n’a pas eu lieu. Ça fait 17 ans que nous le réclamons. Le gouvernement prétend l’avoir fait mais en réalité il n’en est rien. Après les législatives de 2007, l’opposition s’est retrouvée avec 31 députés pour 1,2 million de voix tandis que le pouvoir, qui n’avait que 900.000 voix, s’en est tiré avec 50 sièges. Tout le monde a alors compris que nous avions raison de réclamer un nouveau découpage, car le sud du pays, Lomé et son hinterland, était lésé au profit du nord. Ils ont refait les choses en ajoutant 10 sièges supplémentaires, à savoir 5 pour le sud et autant pour le nord. Vous voyez qu’ils n’ont pas réglé le problème !
Selon vous donc, il n’a pas été trouvé de solution à cette question, pas plus qu’aux autres d’ailleurs, mais cela ne vous a pas empêché de déposer des listes. Pourquoi avoir, malgré tout, fait le grand saut ? Qu’est-ce qui a vaincu vos réticences ?
Comme vous le savez, l’opposition est un bloc de deux regroupements : le Collectif sauvons le Togo (CST) et la Coalition Arc-en ciel (CAC). Et lorsqu’il y a une partie qui décide d’aller aux élections (la CAC, Ndlr) et qui met à mal la stratégie de la pression, la deuxième partie est obligée de suivre.
Vous n’êtes pas loin de dire que vous avez été embarqué ou qu’on vous a trahi.
En matière politique, la trahison est une donnée permanente. Nous avions dit à nos camarades de la CAC de garder par-devers eux leurs dossiers pour continuer la pression parce que les élections ne peuvent pas se tenir sans nous. Ils ne nous ont pas suivis. Ils se sont peut-être dit que tel qu’ils connaissaient Jean-Pierre Fabre, il n’irait pas aux urnes et ils se seraient retrouvés seuls face au pouvoir pour engranger les bénéfices. Nous n’avons pas voulu les laisser seuls face au régime parce qu’ils ne font pas le poids. C’est ça qui nous a convaincu de sauter le pas.
Vu les conditions dans lesquelles vous partez aux élections, êtes-vous vraiment prêts ?
D’abord nous ne sommes pas d’accord, comme indiqué plus haut, avec le nombre de sièges parce qu’on va se retrouver avec le même résultat qu’en 2007. Cela dit, nous sommes en campagne depuis longtemps. La campagne de Lomé, elle, est déjà faite ; ça fait trois ans que nous sommes en campagne dans la capitale.
Vos contempteurs disent plutôt que vos manifestations de rue n’ont rien à voir avec la réalité électorale et que le tout n’est pas de battre le pavé tous les dimanches.
Moi, je ne veux pas discuter de ce que disent les gens de mauvaise foi ; le pouvoir, je l’ai battu régulièrement. On se connaît tous au Togo : ils sont des voleurs, ce que nous ne sommes pas ; ils sont corrompus, nous ne le sommes pas, de quoi veulent-ils donc parler ? Je ne peux pas accepter que des gens qui ont fait la preuve de leur incapacité à gérer ce pays pendant cinquante ans fassent ce genre d’appréciations. Nous n’avons pas attendu l’élection pour aller sur le terrain. J’ai fait une tournée nationale, au nord du pays ça m’a pris deux semaines, plusieurs meetings par jour, on est allé dans les plus petits villages ; alors de quoi on parle ?
M. Fabre, l’un des problèmes majeurs de l’opposition togolaise n’est-il pas sa désunion, vu ce que vous venez de dire sur la CAC ?
Vous voyez, quand les Blancs disent ça et que vous le répétez, ça me fait mal au cœur. A la présidentielle de 1995 en France, Chirac et Balladur étaient du même parti, ça ne les a pas empêchés d’aller au scrutin chacun de son côté. Avez-vous à l’époque entendu sur Rfi ou sur Europe1 qu’ils y sont allés en rangs dispersés, comme on le dit chaque fois pour les oppositions africaines ?
Vous conviendrez quand même avec nous que les contextes ne sont pas les mêmes !
Soit ! Mais si on voyait les choses de la même manière, on n’aurait pas des partis différents. Et puis dans les discussions que nous avons engagées, nous, ANC, avons parfois laissé des circonscriptions à nos camarades des autres partis du CST ; c’est ça, la désunion ? Depuis que je suis rentré de Paris, je passe d’ailleurs mon temps à régler les problèmes dus à cette situation parce que dans mon propre parti, certains ne sont pas contents qu’on ait cédé des fiefs où nous étions sûrs d’engranger des sièges. Ce sont des concessions que nous avons faites. Qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? On nous a demandé pourquoi nous ne faisions pas comme au Sénégal, où l’opposition a su souvent se retrouver pour les besoins de l’alternance. On oublie que, contrairement à notre cas, le système sénégalais n’est pas verrouillé. Chez nous, la situation se caractérise par l’absence d’Etat de droit. Même le Burkina dont on parle, ce qui s’y passe n’est peut-être pas l’idéal, mais c’est très loin du Togo. Le président Compaoré m’a d’ailleurs confié avoir même conseillé au régime togolais d’« habiller les choses » au moins. Il ne faut pas confondre la lutte dans un système démocratique avec une lutte de libération. Nous, nous avons le malheur de vouloir conquérir le pouvoir par les urnes.
Quels sont vos espoirs en nombre de députés pour cette élection ?
L’expérience me montre qu’il faut simplement attendre le soir du scrutin pour savoir parce que le Togo est un pays où on vole régulièrement. Vous, de l’extérieur, vous n’avez pas toujours une idée exacte de ce qui se passe vraiment ici. Quand le président Kountché était au pouvoir au Niger, on disait de lui que c’était un dictateur alors qu’il ne faisait même pas le millionième de ce que Eyadéma faisait. Ici, on nous massacre à huis clos, personne ne dit rien parce que le Togo est un pays insignifiant qui est même absent des statistiques.
Quel effet ça vous fait de vous entendre traiter d’opposant radical ?
Réclamer l’Etat de droit et l’application de la loi, ce n’est pas être radical. Tout ça, ce sont des inventions de Blancs. Nous dénonçons la violation permanente des droits de l’homme, de la Constitution, l’instrumentalisation de la justice, etc. Et si c’est pour ça que nous sommes traités de radicaux, alors j’assume. Le Togo est un pays malade depuis 50 ans. Je me souviens très bien de la manière dont Nelson Mandela était traité par Tatcher, Reagan, et même dans une certaine mesure Mitterrand. On ne disait même pas de lui que c’était un radical mais tout simplement un terroriste. Je ne veux pas me comparer à lui mais il faut souvent se méfier de la perception que les autres ont de nous.
La campagne s’ouvre dans deux jours, autant dire que le compte à rebours a commencé. Mais vos revendications se poursuivent. Pouvez-vous aujourd’hui affirmer que vous irez aux urnes le 21 juillet.
Vous savez, à l’heure où je vous parle, il y a encore trois camarades qui sont toujours détenus alors qu’ils sont candidats à la députation sur nos listes. Moi-même, jusqu’à il y a dix jours, il m’était interdit de sortir de Lomé. Et on dit qu’on va aller aux élections dans ces conditions-là, on me demande ce que je vais faire. On verra bien, mais je ne peux rien vous dire pour le moment.
Propos recueillis par Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga

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