Il a fait un bref show, avec le soutien
de ses riverains et son fan club. Une semaine après, une convocation lui
parvenue tôt ce matin. Accusé dans une affaire dans laquelle la justice
n’a pu établir aucune implication réelle à son encontre, l’ancien
puissant ministre est attendu jeudi au tribunal de Lomé. Une convocation
qui sonne comme un appel au silence pour un homme qui a de plus en plus
de mal à se taire.
S’il n’a pas annoncé officiellement sa candidature pour la
présidentielle de 2015, Afrikaexpress dispose d’un document sonore qui
laisse à croire qu’il ne « peut plus être que candidat » contre son
mentor d’hier, Faure Gnassingbé. Pascal Bodjona est décidé, parce que
dit-il lui-même, il ne « sait faire que la politique« . Mais aussi une
manière de prendre sa revanche après les multiples humiliations dont il a
été victime alors qu’aucun élément ne permet, jusqu’à ce jour,
d’établir sa culpabilité certaine. Dans une déposition de Sow Bertin
Agba à la justice et dont nous avons copie, ce dernier reconnaît l’avoir
"induit en erreur" . Amende honorable d’un rusé. S’il est établi que
Bodjona ait reçu une montre en cadeau de la victime, ce qui n’est pas un
délit dans la législation togolaise, Abbas Yusef lui-même ne lui
attribue pas un rôle au-delà du fait "d’avoir, par sa présence,
crédibilisé une escroquerie". Faire la compagnie d’un supposé escroc
n’est pas anodin pour un ministre de ce niveau, ce que justifie son
entourage par «les liens familiaux qui l’unissent à Agba». Les deux
hommes sont des cousins très proches depuis leur enfance.
Mais ces derniers jours, profitant d’une manifestation de soutien de
quelques dizaines de riverains et voisins à la suite du rejet de son
appel par la Cour suprême, Pascal Bodjona a refait parler autrement de
lui. Imprudente incidence pour quelqu’un d’aussi incernable à la veille
de l’élection présidentielle, et à peine une semaine après, les effets
sont visibles. Un long harcèlement judiciaire attend celui qui fut
longtemps, lui aussi un baron du régime selon une source proche du
dossier, « une procédure normale » selon le cabinet du Garde des Sceaux,
sauf que dans le cas présent, « trop de coïncidences » font douter de
la bonne foi de la justice.
Entre les interlignes
A la suite de notre article évoquant sa candidature éventuelle, un long
entretien avec un conseiller du chef de l’Etat puis un ancien ministre
proche de Lomé II. « Ce que fait Bodjona est trop grave, à cette allure,
il va falloir le remettre au gnouf rapidement, il veut perturber
l’ordre pour la présidentielle« . Si bien que de la même ethnie, ce
conseiller et l’ex ministre se vouent réciproquement une haine inavouée
mais sans mesure, il n’en est pas moins vrai que le point de vue de ce
visiteur de soir de Lomé II répond à des discussions internes qui ont
suivi des échanges de Palais.
« Le patron n’a pas aimé ses sorties indélicates, une conférence de
presse floue, des manipulations d’opinion et une volonté d’embrouiller
les pistes en 2015« , une inquiétude à laquelle la réponse est simple, «
en le condamnant dans la foulée, il ne pourra pas se présenter« .
Conclusion d’un avocat de Abbas Yusef reçu par le président de la
République. La convocation en est-elle une suite logique ? « Non, nous
ne voulons pas faire de l’amalgame » confie un journaliste proche du
ministre selon qui, « il s‘agira de se prononcer sur le fond du dossier«
. De sources judiciaires, il ressort que cette convocation sera l’une
des nombreuses qui s’enchaîneront comme si, après avoir échoué à ramener
Agba au Togo, la justice se décharge sur l’homme le plus visé dans
cette affaire. Bodjona est-il innocent dans ce dossier ? Impossible de
le dire à l’étape actuelle mais tant qu’au lieu de chercher la vérité,
la justice ne cherche qu’à prouver sa culpabilité, la vérité ne sera
jamais sue. Alors que dans le camp de l’inculpé, on semble ne vouloir
que cela, que la vérité se sache. « Le plus important pour moi est la
vérité » avait confié Bodjona lui-même.
Issue imminente
Bertin Agba, l’escroc supposé faisait sans crainte le tour du monde
jusqu’à être mis en quarantaine début juillet à Athènes. Un peu plus
tôt, il était déjà allé en espace Schengen, notamment en France et en
Belgique. Sans être inquiété. Alors pourquoi l’urgence de l’extrader
vers Lomé cette fois-ci? Un seul objectif selon une source maison, «
condamner dans la foulée Pascal Bodjona et lui afin de mettre fin à
toute ambition présidentielle« . Il ne sera pas question que l’ex
ministre retourne en prison pour ne pas choquer une opinion de plus en
plus acquise à l’idée qu’il soit « victime d’un harcèlement».
Après avoir fait huit mois de prison, il pourra soit être condamné et
laissé en liberté ou plutôt au « nombre de mois correspondant à sa
détention préventive suivi d’un sursis » selon le même conseiller cité
plus haut pour qui, « chaque minute qu’il passe en liberté est un risque
pour 2015» .
Mais puisqu’il sera ridicule de condamner le renard de Kouméa sans
disposer d’Agba au moins, Pascal Bodjona peut se retrouver sans cesse
convoqué pendant tout le processus électoral, une manière de garder sur
lui la pression, une pression à laquelle il semble si ben habitué après
sa détention à la gendarmerie où, chez lui, le mental du détenu est né.
Inventeur de la nouvelle machine Rpt sous Faure Gnassingbé, le régime
craint qu’il n’utilise contre eux, s’il et candidat, des armes qu’il a
utilisé, pour eux, contre d’autres.
Agé de 48 ans, Pascal Bodjona fut pendant une décennie ambassadeur du
Togo à Washington (1994 – 2005) avant de devenir directeur de cabinet et
porte-parole personnel de Faure Gnassingbé à la présidence togolaise.
Après avoir été plusieurs fois ministre et porte-parole du gouvernement,
il a quitté l’exécutif fin juillet 2012.
Malin et calculateur, cet astucieux à l’allure mystérieuse ne fait pas
l’unanimité. Généreux et sympathique pour les uns, goinfre et
pouvoiriste pour les autres, tous reconnaissent ses qualités de dialogue
qui ont permis au régime d’éviter plus d’une fois le clash social et/ou
politique. Pendant ses années de grande influence, Bodjona n’a pas non
plus fait grand chose pour que la justice togolaise se porte mieux alors
qu’il en avait, ne serait-ce qu’en partie, les moyens. Aujourd’hui
victime du même système, il se défend avec sa dernière énergie. Mais
jusqu’à quand ?
Afrika express
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