« C’est Gbagbo qui a réellement gagné les élections de 2010 !»
Ce n’est pas un dirigeant du Front populaire ivoirien (FPI), ni un de
ces intellectuels panafricanistes et anti-impérialistes qui le dit, mais
Kofi Yamgnane, proche conseiller de François Hollande sur les questions
africaines pendant la campagne présidentielle française, probable
candidat à al présidentielle togolaise qui fait cette affirmation.
Incroyable !
L’information est relayée par le site la regionale, un
site ivoirien consacré à l’actualité de la CEDEAO et de la CEMAC.
S’agissant de certains journaux en ligne, on peut s’inquiéter d’une
intox. Mais en fait, il s’agit d’une interview accordée au quotidien
ivoirien L’Inter. Et L’Inter est un quotidien ivoirien généraliste créé
le 16 avril 1998 par le groupe de presse Olympe. L’Inter est, début
2013, le cinquième média de presse écrite de Côte d’Ivoire et constitue
un des rares médias ivoirien indépendants de tout parti ou tendance
politique.
La source est donc fiable. Voyons voir ce que dit le Togolais, à l’occasion de la sortie du livre “Pour la vérité et la justice“, que le Président ivoirien a cosigné avec le journaliste François Mattei.
Ce livre apporte des preuves qu’il (Gbagbo) avait réellement gagné les élections de 2010 et que cette nouvelle ne plaisait pas à grand monde. Le rôle joué par la France de Chirac puis de Sarkozy n’est pas brillant…Mais la France admettra-t-elle jamais l’indépendance des pays africains ?, déclare en substance l’ancien candidat à la présidentielle 2010 au Togo .
Et d’ajouter sur le ton de l’indignation:
Je retiens que le président Gbagbo réaffirme (dans le livre de Mattei) son authentique africanité et ses convictions profondes de démocrate. Il avait, il a toujours, une vraie ambition pour l’Afrique : démocratie, liberté des peuples africains, développement.
Dans nos civilisations, jamais, au grand jamais, un peuple ne livre son chef à la justice de l’ennemi ! Quoiqu’il ait fait, quelle que soit la faute qu’il ait commise, le chef doit toujours être jugé ” à la maison”. C’est pourquoi, en ma qualité d’Africain, je pense que ce transfèrement de Gbagbo est une trahison de la tradition africaine » s’est-il indigné.
C’est la première fois que Kofi Yamgnane
tient de tels propos sur la crise post-électorale ivoirienne.
Manifestement, il s’agit d’un pavé dans la mare quand on sait le rôle
majeur joué par la France dans le coup de force ayant abouti au départ
du président Laurent Koudou Gbagbo du pouvoir. La Force licorne
française a été l’instrument de l’ONU pour briser la résistance
ivoirienne.
Les raisons de cette déclaration
demeurent obscures. On note toutefois qu’elle intervient quelques
semaines après la visite de François Hollande à Abidjan. Lors de la
réception des dirigeants du FPI, le locataire de l’Elysée a demandé à
Affi N’Guessan, l’actuel président du FPI, de tourner la page Gbagbo, et
de construire une nouvelle politique en tenant compte de la nouvelle
donne. Ce qui n’a pas été vraiment du goût des autres dirigeants du FPI
qui mènent une guérilla politique contre le président Alassane Ouattara,
réclamant avant tout dialogue le retour du Président Gbagbo.
François Hollande est un soutien
d’Alassane Ouattara et durant sa présidence du Parti Socialiste, il a
pris ses distances avec le régime Gbagbo et soutenu l’intervention de la
France. L’ancien président ivoirien aujourd’hui détenu à la Haye, lui a
d’ailleurs rendu la monnaie de sa pièce en le traitant sans ménagement
dans le livre co-écrit avec Matteï.
Extraits du livre:
François Hollande, il venait me voir à mon hôtel chaque fois que j’étais à Paris. Je n’en ai jamais rien attendu, et je n’en attends rien, écrit Gbagbo, avant d’ironiser sur le manque de caractère des dirigeants de la gauche caviarde :
Les socialistes français ont un complexe… Ils veulent faire croire qu’ils gouvernent comme la Droite. Au début des années 2000, Villepin les a tous manipulés, en leur disant le monstre que j’étais…Ils ont eu peur d’être éclaboussés, ils m’ont lâché (…).
Compte tenu de ce contexte particulier
de relations plus que normales entre l’Elysée et Abidjan, Kofi Yamgnane
aurait dû se montrer un peu plus diplomate. S’il a parlé sans prendre de
gant, c’est pour deux raisons.
Primo, l’affaiblissement de la surface
politique de François Hollande au sein du PS et au regard de la crise
économique qui frappe la France, permettent de plus en plus aux cadres
du parti de prendre des écarts. Ceci peut amener certains courants du PS
à soutenir ouvertement une solution ivoirienne à la crise. En affirmant
que Gbagbo est le vainqueur de la présidentielle de 2010, Kofi Yamgnane
attend des nouvelles autorités ivoiriennes qu’elles fassent profil bas.
Dans ce cas, le retour de Gbagbo, de tous les prisonniers politiques et
des exilés sont la meilleure solution. Ce qui est quelque peu cohérent
avec le contenu des déclarations, mais qui fait de lui l’un des rares
hommes politiques à prendre position en faveur de Laurent Gbagbo.
Même sur le théâtre politique national, à
exception faite de l’ancien Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh, la
plupart des hommes politiques togolais, surtout ceux de l’opposition
ont gardé un silence sépulcral, quand les Forces armées togolaises
combattaient les Forces de défense et de sécurité, loyalistes. Au sein
de l’ANC, on a même entendu certains dirigeants réclamer la même
intervention française au Togo pour chasser Faure Gnassingbé.
Secundo, Kofi Yamgnane décrié dans son
pays natal pour sa nationalité française, prendrait ici une posture
médiatique en se montrant anti-néocolonialiste et panafricaniste. Le
président de Sursaut Togo est une bête politique qui a su réussir une
carrière politique enviable en France. Il se peut que de tels propos
soient donc aussi destinés à un usage interne, à l’opinion publique
togolaise un tantinet anti-française, boudeuse et méfiante envers un
concitoyen qui est tout de même le premier africain à monter si haut
dans l’appareil d’Etat de la Vème République et à avoir défendu pendant
certaines périodes les intérêts français au Togo.
Une façon peut-être de montrer que Kofi Yamgnane déclarera bientôt sa candidature à la présidentielle 2015.
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