Wednesday, April 22, 2015

Au Togo, vote anticipé de la "Grande muette" pour la présidentielle

Ils sont des dizaines, impeccablement alignés dans leurs uniformes devant les bureaux de vote, répondant aux journalistes par des regards méfiants: les forces de sécurité du Togo ont voté jeudi par anticipation pour la présidentielle prévue samedi pour le grand public.
La commission électorale affirme ne pas disposer de chiffres, mais la Concertation nationale de la société civile (CNSC), ONG dont 1.200 observateurs suivront de près l’élection, estime à 20.000 le nombre de militaires, policiers, gendarmes, douaniers et pompiers, votant dans 214 bureaux de vote.
La "Grande muette", comme les Togolais surnomment leur armée, n’a pas dérogé à sa réputation: "on n’a pas le droit de parler", a été la réponse unanime des personnes interrogées par l’AFP.
Dans une école primaire de Lomé jouxtant le camp militaire "Général Gnassingbé Eyadéma", du nom de celui qui dirigea le pays d’une main de fer pendant 38 ans - le père de l’actuel président Faure Gnassingbé, qui brigue un troisième quinquennat cette année -, 12 bureaux de vote ont été installés dans des salles de classes occupant des bâtiments de béton à un étage, aux toit de tôle rouillée.
De temps en temps, un camion militaire vient décharger une nouvelle cargaison de votants en uniforme, qui accomplissent leur devoir civique puis trempent l’index dans un pot d’encre indélébile, destinée à prévenir les tentations de double vote.
Non loin de là, l’école primaire "Gendarmerie" est située dans l’enceinte même d’un vaste camp de gendarmerie de la capitale. Là encore, des files impeccables d’hommes et femmes en uniforme, et là encore, l’éternelle réponse: "Pas de commentaire, il faut l’autorisation de l’Etat".
Le colonel Kossi Akpovy, commandant de la Force de sécurité de l’élection présidentielle (FOSEP), dont 9.000 hommes sécuriseront samedi le scrutin civil, explique que "ce vote par anticipation, c’est pour nous permettre de gérer au mieux la sécurisation des bureaux de vote" samedi.

- ’un Etat dans l’Etat’ -

Pour Paul Amegakpo, directeur de la CNSC, "ce vote anticipé ne rassure guère. On peut comprendre que les 9.000 hommes de la FOSEP votent par anticipation, mais pas que cela concerne le total des 20.000 forces de sécurité".
"Je crains plus de risques de fraude, beaucoup plus" que pour les civils, car "le vote par procuration est autorisé pour ces électeurs le 25. Ils pourraient donc avoir la latitude de voter encore, d’autant qu’ils ne sont pas inscrits dans un fichier électoral spécial" réservé aux forces de sécurité.
"Ils pourraient donc se présenter en civil pour revoter le 25", craint-il.
De plus, "les urnes utilisées pour ce vote par anticipation ne seront amenées à la commission électorale que le 25, or leurs scellés n’offrent entretemps aucune garantie", s’inquiète-t-il.
La méfiance de M. Amegakpo provient du rôle historique de l’armée au Togo: le général Eyadéma était arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1967, son régime s’est maintenu grâce à elle, et c’est elle qui a porté au pouvoir le fils, Faure Gnassingbé, à la mort du père en 2005. Le président sortant est à nouveau le favori de ce scrutin, dont les modalités - un seul tour - l’avantagent face à une opposition divisée.
Au fil de ses 48 ans au pouvoir, la famille Gnassingbé, originaire du nord du Togo, a verrouillé l’armée en enrôlant essentiellement des soldats de cette région pour s’assurer sa loyauté. L’armée lui a bien rendu en réprimant avec beaucoup de fermeté toute tentative de contestation du régime.
"L’armée, c’est la chasse gardée des gens du Nord", explique l’analyste politique togolais David Ihou. "Les officiers sont à 90% des gens du Nord, beaucoup ont fait Saint-Cyr, ou d’autres grandes écoles en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. C’est une élite militaire, un Etat dans l’Etat", qui dévore un cinquième du budget national.
"C’est un problème qui se pose à nous", assure-t-il: "On a peur que si quelqu’un du Sud gagne la présidentielle", tel le chef de file de l’opposition Jean-Pierre Fabre, "l’armée ne l’accepte pas, car elle n’a pas l’air d’être chaude pour la démocratisation".
Dans un communiqué, Amnesty International a dénoncé jeudi les agissements de l’armée, l’accusant d’avoir tiré à balles réelles sur des manifestants fin mars et appelant les autorités à "garantir le respect de la liberté de réunion et la liberté d’expression".

AFP

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