Saturday, April 19, 2014

TOGO:: Me Jean Yaovi Dégli, président du Mouvement « Bâtir le Togo » : « Il n’y aura pas de limitation de mandat avec effet immédiat »



L’actualité sociopolitique au Togo est dominée ces derniers temps par les questions relatives aux reformes constitutionnelles et institutionnelles, et au cadre approprié de ces reformes. Les questions sur la limitation du mandat présidentiel, sur les travaux du CPDC Rénové, sur le régime politique ont fait et continuent de faire débat au sein de la classe politique togolaise. Dans cette interview, Me Jean Yaovi Dégli, le plus jeune ministre que le Togo ait connu, président du Mouvement « Bâtir le Togo », est revenu sur ces différentes préoccupations, afin d’apporter sa pierre à la construction de la Terre de nos Aïeux. L’avocat et Défenseur des Droits de l’Homme ne croit pas à une candidature unique de l’opposition à la présidentielle de 2015, ni à une alternance. Selon Me Dégli, « il n’y aura pas de limitation de mandat avec effet immédiat, parce que le pouvoir en place ne l’acceptera jamais ». Dans cet entretien, Me Jean Yaovi Dégli a rendu un hommage mérité à l’un de leurs compagnons de lutte d’antan, Hilaire Dossouvi Logo enterré le samedi 12 avril dernier. Pour lui, « il faut graver dans un roc ce que Logo a fait de bien et inscrire ce qui lui est reproché comme acte négatif sur du sable. « Que le bien reste à jamais et que le vent emporte le mal ».
La question des réformes institutionnelles et constitutionnelles revient avec acuité. En matière de droit, que signifient exactement ces deux termes ?
Cela signifie simplement des rectifications, des corrections et/ou des amendements à porter à la Constitution et aux institutions. Il s’agit en fait d’une touche pour améliorer ou adapter la Constitution et les institutions à des réalités nouvelles.
Quel est selon vous, le cadre approprié pour ces réformes ?
Cette question soulève deux problèmes, car le cadre consensuel pour décider n’est pas le même que celui qui doit permettre de traduire les décisions consensuelles prises dans la réalité. D’un côté, le cadre approprié pour discuter des réformes constitutionnelles et institutionnelles dans le cadre d’un pays comme le Togo qui a connu des crises à répétition et en tenant compte de l’APG est un cadre de dialogue, puisqu’il s’agit essentiellement de rechercher un consensus. C’est dans ce cadre de dialogue seul que le consensus souhaité par l’Accord Politique Global peut être trouvé. Et ce consensus doit être le plus large possible. Cela veut dire concrètement qu’il faudra associer aussi bien les partis politiques qui sont à l’Assemblée Nationale que les partis extra parlementaires ainsi que la société civile aux discussions. D’un autre côté, après ces discussions, ce qui sera décidé dans ce cadre de dialogue de façon consensuelle devra être amené au Parlement pour être adopté comme lois constitutionnelles ou lois régissant les institutions. Cela ne signifie nullement que le Parlement est une caisse de résonance. Le Parlement fait son travail, mais tient compte de ce qui a fait consensus entre les différents acteurs de la vie politique et la société civile, c’est-à-dire les représentants du Peuple à un certain niveau. Ici, la majorité a cédé le pas au consensus dans le cheminement.
En dehors des travaux consensuels du CPDC Rénové, une partie des acteurs politiques exige encore un autre dialogue avant d’y arriver. Votre appréciation ?
En principe, ce qui a été trouvé dans le cadre du CPDC rénové doit être pris en considération et rapidement traduit dans la réalité même si ceux qui ont joué les absentéistes hier peuvent se voir offrir la possibilité à titre très exceptionnel de donner leur avis dessus sans que cela influence le processus et amène à recommencer les discussions à zéro. Dans tous les cas, dans la mesure où ils sont présents à l’Assemblée nationale, ils pourront toujours y dire leurs positions. Les sujets sur lesquels un consensus a été déjà dégagé doivent donc être envoyés à l’Assemblée nationale pour être adopté. Par contre les autres problèmes non encore résolus seront discutés ensemble avec eux et feront eux aussi l’objet de consensus. Maintenant, si on veut vraiment jouer l’apaisement et permettre que le large consensus recherché soit considéré vraiment comme trouvé avec l’apport de ceux qui n’avaient pas rejoint le train au bon moment, on peut accorder une plus large possibilité de débats aux absents d’hier sur les points sur lesquels ils pensent avoir des divergences avec les autres et leur permettre d’expliquer leur position. Si ces positions sont dignes d’intérêt et nécessitent d’être prises en considération, il faudra le faire. Sinon et si le débat n’est plus nécessaire, on arrête les discussions une fois pour de bon. Une fois cela fait, les textes pourront être envoyés à l’Assemblée nationale et soumis à adoption. Dans le respect de ceux qui ont accepté par le passé de siéger au sein du CPDC rénové, il serait cependant difficile de laisser à ceux qui avaient refusé le dialogue, le pouvoir d’amener tout le monde à recommencer les discussions à zéro. Cela comporte des dangers. Premièrement, ce serait donner l’impression à ceux qui ont pris leur temps pour faire ces discussions au moment où tout le monde était convié aux débats, qu’ils ne comptent pas du tout ou pas pour grande chose. Ceci serait une vraie aberration, une caution à la politique de la chaise vide et une façon de donner l’impression que certains sont plus importants que les autres. Deuxièmement, le régime en place, qui ne semble plus vraiment intéressé par ces réformes, peut profiter de cette occasion pour jouer les prolongations alors même que nous avons besoin que les réformes, surtout celles relatives à la limitation des mandats, se traduisent très rapidement par une inscription dans la Constitution et en tous les cas, avant les élections présidentielles de 2015.
Quel type de régime faut-il pour le Togo ?
Mon humble avis est que le régime le plus adapté à nos us et coutumes et surtout à notre façon de concevoir la direction politique est le régime présidentiel comme au Bénin et au Ghana. Bien sûr, des aménagements devront être faits pour tenir compte des réalités de notre pays et non des hommes. A ce propos, voici ce que je pense de ce régime tel que je l’avais indiqué lors du cinquantenaire de l’indépendance de notre pays. « Dans ce régime, l’Exécutif doit posséder l’indépendance et l’aisance de mouvements qui sont la condition de toute action efficace et suivie. Cette souveraineté autonome du pouvoir exécutif doit avoir pour corollaire nécessaire la responsabilité du chef de l’Etat devant un Parlement fort et efficace dont le droit de contrôle de l’action gouvernemental ne saurait être minimisé. Il ne faut pas exagérer la souveraineté du pouvoir exécutif et il ne faut pas mettre en place un parlement qui empêche la gestion du pays par l’exécutif non plus. Il s’agit, somme toute, de mettre en place une constitution conçue selon les principes de Montesquieu. Et dans ce domaine, la constitution américaine basée sur le pouvoir présidentiel semble être beaucoup plus adaptée à nos mœurs, si l’on en retranche le rôle très important du judiciaire et le remplace par un meilleur équilibre ou une meilleure répartition des rôles entre le Législatif et l’Exécutif et si l’on garde en vue que la Constitution des Etats-Unis est celle d’un Etat de Common Law où beaucoup de choses n’ont pas besoin d’être écrites mais sont déduites de l’esprit de la loi fondamentale par les Juges en cas de conflit. Nos juges n’ont malheureusement pas cette pratique et cette expérience. La Constitution américaine a également connu une longue pratique qui l’a amenée à son niveau actuel où l’équilibre des pouvoirs est assez largement réalisé même s’il reste toujours à parfaire ». Elle peut donc nous inspirer sans jamais nous embrigader. Si dans cette répartition des pouvoirs entre le Législatif et l’Exécutif que nous voulons, les nécessités de l’indépendance et de la liberté de mouvement de l’Exécutif prédominent contre le droit de contrôle et d’initiative du Législatif, quelque chose est nécessairement faussée dans les ressorts du gouvernement et dans le fonctionnement du système. Il s’agit d’un équilibre qu’il faut doser de façon à ce qu’aucun des deux pouvoirs ne devienne dictatorial ou trop prépondérant par rapport à l’autre ou n’essaye d’entraver l’action de l’autre ». Nous devons donc penser et tenir compte de nos réalités pour adapter ce régime présidentiel comme l’ont fait nos frères du Ghana et du Bénin. Toutefois, il faut noter que se mettre d’accord sur un régime et traduire ceci dans la réalité risque de prendre du temps. Il faut donc d’abord parer au plus pressé. Les problèmes comme la limitation de mandat sont simples. Et comme il y a déjà un consensus dessus, il faut immédiatement aller inscrire cela dans la Constitution. Le reste, notamment le régime constitutionnel, la répartition des pouvoirs au sein de l’exécutif et toutes autres modifications qui sont des réformes plus lourdes prendront plus de temps pour donner un consensus Il ne faut donc ni faire d’amalgame ni se piéger par un mélange qui va entrainer le blocage.
La limitation du mandat présidentiel avec « effet immédiat » sous Faure Gnassingbé : Mythe ou réalité ?
Il n’y aura pas de limitation de mandat avec effet immédiat parce que le pouvoir en place ne l’acceptera jamais. Il ne faut pas se faire d’illusions ni vendre des chimères au peuple togolais. Il y aura la limitation de mandat si l’opposition se bat bien pour cela. Mais pas d’effet immédiat. Il faut donc cesser de se berner d’illusions en exigeant quelque chose que l’opposition n’aura jamais mais dont le pouvoir pourra se servir allègrement pour créer un blocage de tout le processus ou jouer les prolongations. Normalement, si l’UFC en son temps avait joué le jeu et accepté d’aller au gouvernement après les élections législatives de 2007 conformément à ce qui était prévu par l’APG, cette limitation de mandat aurait déjà été faite en 2007-2008. Même en n’étant pas au gouvernement, les membres de ce parti auraient pu agir pour les réformes nécessaires. On ne serait pas là aujourd’hui à parler d’effet immédiat ou pas puisque la limitation existerait depuis lors et pourrait être évoquée aujourd’hui. Notre opposition (surtout dans sa frange qui aime jouer faussement les radicaux) qui n’a jamais de stratégie a laissé passer l’opportunité de faire ce qu’il faut au moment où il le faut et elle ne peut que s’en prendre à elle-même aujourd’hui avec les conséquences graves que cela entraine malheureusement sur la vie du Peuple togolais. Maintenant il faut revenir à un réalisme politique et faire mettre cette limitation dans la Constitution avant les élections de 2015 en évitant tout blocage inutile. Tout blocage de ce genre favorisera le régime qui profite de la non limitation de mandat et fera tout pour qu’elle arrive le plus tard possible en surfant bien évidemment sur l’impossibilité de rétroactivité ou d’effet immédiat. Si cette limitation n’est pas inscrite avant 2015, dans la mesure où effet rétroactif ou immédiat il n’y aura pas parce qu’on n’a pas les moyens pour l’imposer, cela signifierait que le mandat commencé en 2015 aussi ne va pas compter non plus. Il faut cesser d’être enfantin. L’opposition doit donc être réaliste et faire la politique de ses moyens en usant du levier dont elle dispose. Pas de populisme ni de démagogie. Lorsque vous avez soif et qu’on vous donne un verre d’eau à moitié plein, il faut le boire et demander plus. Si vous refusez de le prendre vous mourrez de soif. Que la limitation de mandats soit inscrite dans la Constitution et dès maintenant et avant les prochaines présidentielles. Il ne faut surtout pas reporter l’échéance.
Croyez-vous à une candidature unique de l’opposition et/ou une alternance en 2015 ?
Je ne crois ni à l’une ni à l’autre.
En juin 2012, le gouvernement avait appelé à plusieurs reprises, l’opposition, plus particulièrement les responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) à un dialogue, mais ces derniers, comptant sur la mobilisation populaire, ont brandi un chapelet de préalables avant toute discussion. Aujourd’hui que la politique de la rue a échoué, les mêmes personnes réclament le dialogue sans préalable auprès du gouvernement en adressant des courriers. N’est-ce pas là une erreur monumentale ?
C’est ce que je disais tantôt. Notre opposition n’a pas de stratégie. C’est effectivement une erreur. Malheureusement, nul ne peut se plaindre de sa propre turpitude comme le dit si bien l’adage « nemo auditur propriam turpitudinem allegans ». Ceux qui sont habitués à se battre politiquement et qui réussissent travaillent toujours sur la base d’une stratégie. Ils savent que lorsque vous avez le peuple avec vous dans la rue, il faut en profiter pour négocier en position de force les revendications sur la base desquelles les gens vous ont suivis et non changer de revendications à tout bout de champ en cours de processus et commencer à demander ce pour quoi vous n’avez pas appelé les gens dans la rue au départ. Si vous faites cela, les gens ne vous suivront pas. Les plus avisés parmi eux peuvent même se considérer floués. Notre opposition n’a malheureusement pas compris cela à temps et se retrouve aujourd’hui au pied du mur après avoir joué les radicaux sans avoir les moyens de sa politique. Elle a donc appris la leçon, mais hélas à ses dépens. Il faut faire la politique de ses moyens et surtout avoir une stratégie de combat. A défaut, l’opposition togolaise n’ira nulle part dans sa marche.
Hilaire Dossouvi n’est plus ! Que retenez-vous de la vie de cet homme que d’aucuns qualifient de l’une des icônes du mouvement du 05 octobre 1990 ?
Je ne peux pas prétendre connaître la vie de Logo Dossouvi Hilaire. Je sais simplement qu’Hilaire fait partie de ceux avec qui j’ai combattu le régime de dictature au Togo. Et il était un combattant acharné de la liberté. Nous avons ensemble organisé les mouvements d’août 90 dont la découverte par le régime Eyadema a occasionné son arrestation avec Doglo Agbelenko et une dizaine d’étudiants. Le procès de Logo et Doglo le 21 septembre 1990 nous a permis d’organiser les manifestations du 5 octobre, jour où devait être rendu le verdict dans leur procès. Logo n’a donc pas personnellement participé à la préparation et à la mise en œuvre du mouvement populaire du 5 octobre contre la dictature puisqu’il était en prison. Cependant, son nom est lié au mouvement parce que c’est son procès qui a permis d’organiser ces manifestations. Logo a également été parmi ceux avec qui j’ai travaillé pour l’organisation des mouvements étudiants de mars 1991 qui vont finalement déboucher sur la libéralisation de la vie politique, le multipartisme, la reconnaissance des libertés individuelles comme les libertés de presse, d’opinion, d’expression, de conscience, de religion, etc. de même que sur la Conférence Nationale et la transition politique. Pour moi, il faut graver ce que Logo a fait de bien dans un roc et inscrire ce qui lui est reproché comme acte négatif sur du sable. Que le bien reste à jamais et que le vent emporte le mal. Logo est une des figures emblématiques de la lutte pour la démocratie et l’Etat de droit au Togo et cela, personne ne pourra l’effacer.
Toutefois, que direz-vous de Claude Améganvi qui refuse de rendre hommage à la mémoire de l’illustre disparu en déclarant sur les ondes de Nana FM le 23 mars dernier, dans l’émission « 12-13) : « Je ne suis pas attristé par la mort d’Hilaire Dossouvi Logo, et pour ma part, je ne rendrai jamais hommage à Hilaire Dossouvi Logo… » ?.
Je trouve les propos de M. Améganvi vraiment dommage. Claude Améganvi est revenu en 1991 après plusieurs communications téléphoniques qu’il a eues avec moi et au cours desquelles il voulait savoir ce qui se passait sur le terrain, ce que nous faisions contre la dictature et la situation sécuritaire dans le pays. Je l’ai longuement rassuré sur la loi d’amnistie et la possibilité de son retour sans crainte au pays. Si j’ai bonne mémoire, le jour où il a débarqué au Togo, dès sa descente d’avion et avant d’aller chez ses parents, il est passé chez moi à la maison à Forever. Ce que je faisais à l’époque et qui l’avait intéressé comme lutte et rassuré pour son retour au bercail, il a peut-être oublié que je le faisais avec diverses personnes courageuses dont Logo Dossouvi Hilaire. C’est donc dommage qu’il parle ainsi de ce dernier. Même quand on en veut à quelqu’un, après sa mort on a une petite compassion. Même si c’est votre ennemi, quand il meurt, vous pouvez avoir un peu de pitié, de compassion ou au moins un peu de respect et de retenue dans vos propos à l’égard de son âme. On ne tire jamais sur un corbillard. Quelque fois, ne serait-ce que par respect pour ses proches, on évite d’attaquer un mort. Surtout lorsqu’il a participé à une lutte qui vous a ouvert largement les portes de votre retour au pays et de la participation à la politique sur le plan national. S’il n’y avait pas eu l’arrestation de Logo, peut-être que nos frères qui sont revenus de France en 90 pour devenir les grands politiciens au Togo aujourd’hui n’auraient jamais pu réaliser ce rêve. Il faut savoir raison garder. Logo a dû opérer un choix douloureux à un moment donné en faisant un calcul utilitaire. Que celui-qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Et sur ce point, il faudrait que ceux qui sont promptes à jeter la pierre se rappellent de leur propre passé. Il y a autant de matière à reproches sur leur parcours et ce n’est pas parce que nous n’en parlons pas que nous avons forcément oublié. Nul n’est parfait et personne ne doit jouer au besacier. Après sa mort, ce que Logo a fait de bien dans ce processus démocratique doit pouvoir être ressorti et mis en avant ; pas ce qu’il a pu faire et qu’on n’a pas apprécié. Peut-être au jour du bilan global, pourrons-nous relever les insuffisances. Pas dans les conditions actuelles.
Propos recueillis par A.A / F.S
(Telegramme228)

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