Wednesday, February 12, 2014

Un problème qui doit trouver des solutions urgentes et définitives !



Par définition, « la transhumance, c’est la migration périodique du bétail de la plaine, qui s’établit en montagne pendant l’été » ; c’est la définition européenne du terme. En Afrique, la transhumance « c’est la migration anarchique, incontrôlée et dévastatrice du bétail, des régions désertiques, semi-désertiques, ou arides vers les régions fertiles »… Le mot « transhumance » provient du latin « trans et hummus », qui veulent dire « au-delà des terres »…
Ce mot est, comme scotché, en Afrique sub-saharienne, à l’ethnie peuhl, ethnie qui a une histoire et une tradition d’éleveurs et de conducteurs de troupeaux, depuis des siècles…
Trois types de transhumance se rencontrent :
1) La transhumance saisonnière, dont l’objectif principal réside dans la recherche de pâturages et d’eau ;
2) La transhumance laitière qui vise des objectifs commerciaux (recherche des marchés pour l’écoulement du lait) ;
3) La transhumance de métissage, moins répandue, qui permet le croisement du cheptel zébu, avec du bétail trypano-résistant, et une migration des troupeaux vers des zones moins infestées.
Au Togo, chaque année, et de façon récurrente, la transhumance cause des troubles graves, avec des morts, des blessés et des déplacés par centaines. Récemment, cinq morts dans la région des Savanes, deux morts à Wahala, et plusieurs dizaines de blessés graves, sans compter des milliers de déplacés dans ces deux localités…
Les Peuls ont toujours été des éleveurs. Ils ont une histoire millénaire passionnante, tumultueuse, parfois même violente. L’un de ses dignes fils peuls n’est pas éleveur, mais écrivain, prix Renaudeau de littérature (excusez du peu !) et homme de culture, dense, qui a écrit un livre-phare sur son ethnie, « PEUL », mais aussi, « L’aîné des orphelins », histoire du génocide rwandais : Tierno Monénimbo. Plongeons nous dans l’histoire des Peuls…
A) D’où vient cette vénération des bovins chez les Peuhls ?
Tierno Monénimbo est né à Kankalabé, au Fouta, en Guinée ; de son vrai nom Diallo (presque tous les peuls s’appellent SOW, DIALLO, BALDE, BÂ ou BARRY…), je l’ai rencontré à Conakry et nous avons eu à discuter pendant de longues heures et dîné plusieurs fois ensemble…
Selon la légende, dans un village, un beau matin, un jeune garçon de 12 ans et sa jeune sœur de 8 ans, se mirent brusquement à parler une langue…que personne ne comprit dans le village. Les anciens se réunirent et on décida de chasser du village les deux enfants, sous prétexte qu’ils vont amener la malédiction dans la communauté, parce que habités par le diable ! Le frère et la sœur errèrent pendant des heures dans la brousse, et s’endormirent, affamés, au pied d’un arbre…Ils se réveillèrent brusquement, sentant une présence, et découvrirent, étonnés, une vache qui leur donna son lait à boire et les nourrit tous les jours suivants…Ils s’adoptèrent, à trois, et à 18 ans, le frère épousa la sœur de 16 ans ! Ils eurent plusieurs enfants, qui, à leur tour, s’épousèrent, donnèrent des enfants…et la race peuhle est née…
Faits remarquables : si vous touchez à une vache d’un peul, il est capable de vous tuer, et les peuls se marient toujours, aujourd’hui, entre cousins et cousines directs, oncles et nièces…
Suivons aussi l’histoire de Dôya Malal, du clan des Bâ et sous-clan des Yalalbé, racontée par l’auteur. Il eut 7 fils et 5 filles. D’après la sagesse peule, « le poulâkou », c’est à l’aîné des garçons que revient l’héritage du père, ainsi que la direction du clan, après la mort du père. Mais, il se trouve que Dôya Malal eut deux garçons jumeaux, BIROM et BIRANE. Qui va hériter ? Alors, le père eu l’idée de leur poser une devinette :
« Je suis un vilain garçon. Si l’on m’envoie faire des commissions, je ne reviens pas ! Qui suis-je ? »
« Le filou, répond BIROM. On lui donne des cauris pour acheter des provisions, et il disparait avec la marchandise » ;
« La flèche, répond BIRANE. Quand vous la tirez, elle ne revient pas, et reste logée dans sa proie ».
« BIRANE, tu es le plus imaginatif, tu seras mon fils aîné », trancha le père, qui ajouta :
« Quand je ne serai plus de ce monde, c’est à toi, BIRANE, que reviendra l’Hexagramme de coralline, l’insigne de notre clan » ;
Puis, il dit à BIROM :
« Tu dois obéir à ton frère, si tu veux rester mon fils… »…
A la mort du vieux Dôya Malal, en 1512, BIRANE éborgna BIROM, qui, à son tour, transperça BIRANE à coup de javelot, et le tua !
Cette histoire de devinette entraîna, comme on le voit, de terribles conséquences, et traduit le caractère un tantinet violent des peuls, ce que l’auteur explicite par cette citation, parlant des peuhls :
« On les disait beaux comme des anges, intelligents comme le bon Dieu, et méchants comme le diable…Et depuis, c’est ainsi chez les Peuls : celui qui est mon frère, je le fuis, celui qui porte mon sang, je le tue ! »…
B) Revenons à la transhumance
La transhumance fait donc référence à une pratique « de déplacement des troupeaux, saisonnier, pendulaire, selon des parcours bien précis, répété chaque année » ;
Le nomadisme, c’est le déplacement acyclique des troupeaux et des campements au hasard des orages et des jonchées de verdure qui les suivent, dans des territoires très vastes dont l’usage est réglé par la coutume ou par la force. C’est le déplacement de tout un groupe, avec bétail et personnes, à l’intérieur d’un pays, ou à travers plusieurs pays. Les animaux sont choisis en fonction de leur résistance à la privation d’eau, de leur rusticité et leur aptitude au déplacement. Les pasteurs n’ont pas d’habitats fixes permanents, et toute la famille suit les déplacements des troupeaux.
L’agro-pastoralisme : c’est la coexistence entre activités agricoles et activités pastorales qui peuvent avoir lieu à différents échelles : pays, région, village, unités de production.
Comme on le voit, la transhumance est un casse-tête en Afrique noire et les drames liés à ce phénomène entrainent des centaines de morts et blessés par an, et la destruction massive des productions agricoles ravagées par les troupeaux. En Afrique, cinq pays tiennent le haut du pavé pour l’élevage des bovins :
-  Le Soudan (39 millions de têtes de bétail)
-  L’Afrique du Sud (13.7 millions de têtes de bétail)
-  Le Madagascar (7.9 millions de têtes de bétail)
-  Le Mali (7.3 millions de têtes de bétail)
-  Le Burkina Faso (7.3 millions de têtes de bétail)
Puis, viennent le Cameroun, le Nigeria, la Guinée, le Niger etc. Au TOGO, l’élevage n’est pas extensif et c’est le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui nous fournissent le gros de notre consommation de viandes de bovins. Les peuls déferlent avec leurs troupeaux, de ces pays vers le sud de notre pays de façon anarchique et incontrôlée ; et les conflits sanglants avec les agriculteurs sont prévisibles. Toutes « les mesures-solutions » à ce problème de transhumance doivent être nationales et régionales.
C) Quelles situations urgentes et définitives ?
Le plus pénible de mes voyages en avion jusqu’à ce jour, est sans nul doute, celui du vol Conakry-Bamako-Bruxelles, un beau jour de 2002. J’avais comme voisin de siège un Afro-Américain d’une cinquantaine d’années, qui venait de faire un périple ouest-africain, qui l’a conduit au Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’ivoire, Burkina Faso, Libéria, Sierra Léone et Guinée. Après les présentations, le courant est passé tout de suite entre nous et nous avons discuté politique, sociologie, économie… jusqu’à Bruxelles… sauf pendant vingt six minutes (26 min.), au cours desquelles un méchant orage a fait tournoyer notre avion, un Airbus avec 201 passagers à bord, comme un cerf volant, jusqu’à l’atterrissage à Bamako. Tous ceux et toutes celles qui avaient un chapelet l’avaient sorti et nous avions aussi fait 3 ou 4 fois le signe de croix, pendant ces 26 minutes d’enfer. Ce n’était pas seulement l’orage qui a rendu mon voyage pénible, mais aussi, le procès implacable de mon voisin de siège, Kévin, procès des dirigeants des pays qu’il a visités et une grande partie de nos discussions était en rapport, outre la politique, avec l’agropastorale. De Bamako à Bruxelles, la discussion s’est poursuivie…
« AFRICA is nothing », a-t-il marqué tout au long du vol, et il ponctuait cette interjection d’exemples négatifs en politique, en économie, dans l’agriculture et dans l’élevage. Mais je ne l’ai pas épargné non plus :
« Vous les noirs américains, vous êtes trop paresseux, vous ne voulez pas travaillez et ce sont les immigrants italiens, chinois, indiens, européens, mexicains et cubains qui vous piquent les bons jobs ».
Beau joueur, il a encaissé en se défendant tant bien que mal ; mais revenons sur l’agropastorale :
« Vous ne connaissez même pas le foin et vous n’avez même pas 100 tracteurs par pays », m’asséna- t-il…
Oui, le foin, élément capital de l’élevage, nous ne le connaissons pas, parce que le foin peut régler en grande partie le problème de la transhumance !
Le foin est un fourrage constitué d’herbes séchées et destiné à l’alimentation des animaux domestiques herbivores durant la mauvaise saison. C’était, autrefois une des conditions de nombreux systèmes de type polycultures – élevage. L’ingestibilité du foin est meilleure que celle de la paille. Le foin a été aussi utilisé pour la conservation de la viande.
Tas de foins
La composition du foin varie selon les usages, mais les éleveurs de chevaux préfèrent utiliser un foin composé d’un mélange de luzerne fléole des prés ou d’autres graminées. Pour les bovins laitiers, les éleveurs préfèrent les légumineuses (luzerne, trèfle, lotier) en raison de leur niveau élevé d’énergie et de protéines. La luzerne (Médicago sativa), riche en vitamines et sels minéraux est utilisé en alimentation animale, humaine et en phytothérapie. C’est une plante originaire de l’ouest de l’Asie, cultivée et présente à l’état subspontané dans tous les continents. La luzerne est la légumineuse la plus cultivée au monde, avec une récolte annuelle de 454 millions de tonnes (FAO 2002), mais l’Afrique est quasi absente de ce tonnage
La luzerne (Medicago sativa)
En dehors de la luzerne cultivée, il y a la coumarine dont regorge les plantes comme la feuille de maïs+++, la fève Tonga, la cannelle de Chine, la lavande vraie, le céleri (Apium graviolens). Sur un hectare, on peut produire jusqu’à 5 tonnes de foin selon la fertilité du sol et le climat.
Les opérations qui permettent la préparation du foin s’appellent la fenaison. Le stockage du foin se fait généralement sous forme de bottes de foin, de balles (gaëls), de meules. Le fenil est le bâtiment utilisé pour entreposer la récolte du foin.
D) Pour nourrir le bétail, il faut de l’eau et du foin !
Avec ces éléments à la disposition du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Togo, les éleveurs n’ont plus à laisser leurs troupeaux errer dans la nature et détruire les cultures des agriculteurs, sous peine d’avoir toujours des morts, des blessés et des déplacés :
- Première mesure : il ne faut plus qu’il y ait des peuls « sans pays » ! Un peul est togolais ou burkinabé ou malien ou nigérien ou guinéen etc. Ils doivent tous posséder des cartes d’identité avant de pouvoir circuler sur le territoire national qu’il soit togolais ou originaire de la CEDEAO. Un accord clair dans ce sens doit être signé entre nos Etats…
- Deuxième mesure : il faut institutionnaliser l’agropastoralisme obligatoire. Un pasteur nomade ne peut pas emmener ses bœufs depuis le Burkina ou le Nord Togo pour venir détruire nos cultures. Ils doivent s’auto-agropastoraliser : combiner élevage et agriculture de subsistance. C’est ainsi dans les grands pays d’élevage comme en Argentine, en Australie, au Texas, USA…
C’est triste de voir un enterrement d’un pasteur peul qui meurt au cours de leurs longues randonnées. On les enterre dans des tombes anonymes, au hasard des localités ! Il leur faut un « chez », un village, une ville comme j’en connais au Fouta Djalon en Guinée. Là-bas, les peuls éleveurs vivent en sédentaires, nomades d’occasion, dans leurs belles villes. Les soirs, ils ramènent leur bétail au bercail, après lui avoir fait paître dans des prairies voisines gérées et entretenues par les habitants. La clôture d’une prairie ne dépasse pas 1.2 mètre de haut, le bœuf ou la vache ne peut enjamber une hauteur d’un mètre…
Il faut donc des prairies et des pâturages, que les éleveurs nomades doivent acheter ou louer chez les agriculteurs et il leur faut du foin (les feuilles de maïs séchées après la récolte, constituent une nourriture précieuse pour le bétail) et les agriculteurs doivent emmagasiner des bottes ou des meules de feuilles de maïs pour vendre aux éleveurs. Les nomades ne peuvent pas parachuter leurs bœufs d’un coin du pays à un autre, à moins de les transporter par camions-remorque, aller-retour, ce qui va rendre la viande très chère ; c’est pourquoi il faut les sédentariser…Le nomadisme pur ne peut plus continuer, car il faut aussi des points d’eau pour le bétail, d’où la nécessité de creuser des puits, de construire des forages et des bassins de retenue d’eau…
Le gouvernement doit présenter d’urgence une loi réglementant tout cela, pour un vote à l’Assemblée Nationale pour une harmonie de vie entre diverses communautés de notre pays…
Dr David IHOU

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