Wednesday, October 2, 2013

Sébastien Zoul, Directeur du Centre culturel Mytro Nunya : « Le caractère engagé qu’on nous prête, c’est peut-être lié à la vision que nous portons de la solidarité internationale, et aux ouvrages exigeants que nous proposons à la lecture »


Il y a trois ans, le Centre culturel Mytro Nunya (Changer de mentalité) ouvrait ses portes à Lomé. Durant ces années de prestations, beacoup d’évènements ont été abrités par ce centre. Dans cette interview, le patron de ce centre, un passionné de l’Afrique, le Français Sébastien Zoul, parle de ce centre, le parcours, la culture au Togo et en Afrique, et les perspectives.
Vous êtes Responsable de Mytronunya, a priori un centre culturel, mais avec un engagement politique quasi visible… Votre centre n’est pas qu’un centre culturel, ce n’est pas non plus un institut politique et social, c’est un peu de tout cela ?
Mytro Nunya est un Centre de Recherche et d’Information sur les Alternatives. Vous avez raison : c’est un lieu atypique. Il est difficile d’expliquer en quelques mots qui nous sommes et ce que nous faisons. Il faut nous fréquenter, passer du temps à nos côtés, assister régulièrement à nos différentes activités pour mieux apprécier ce que nous faisons. Ce que j’aimerais qu’on retienne, c’est que nous faisons les choses autrement, que nous réalisons beaucoup de choses intéressantes, avec peu de moyens financiers. Plus concrètement, nous touchons bien évidemment aux activités culturelles, dans toutes leurs diversités, mais nous nous intéressons aussi de près à l’information, en particulier l’information libre et alternative, indépendante. Nous organisons des rencontres et des débats ouverts à tous, pour parler des enjeux sociaux, politiques, culturels, etc... Cela passe aussi par le cinéma, les concerts, et bien d’autres choses encore... Le caractère engagé qu’on nous prête, c’est peut-être lié à la vision que nous portons de la solidarité internationale, et aux ouvrages exigeants que nous proposons à la lecture. Engagé, certes, mais pas partisan...
Qu’est-ce qui a poussé le Français que vous êtes, fut-il passionné de l’Afrique, à créer une telle structure ?
Français certes, qui a beaucoup voyagé, et qui a beaucoup aimé ce beau pays qu’est le Togo, malgré ses difficultés. C’est un défi passionnant que de faire vivre et développer une telle structure dans le contexte actuel. J’avais l’envie de m’investir sur un projet localement, dans la durée, avec une vision globale. Le Togo offre un cadre exceptionnel pour l’agriculture, le monde rural est magnifique. Avec un peu de travail pour rendre moins pénible certains aspects liés à la pauvreté (santé, éducation), la vie au village au Togo pourrait être si délicieuse pour tous les togolais... Ma motivation, c’était aussi l’envie d’en apprendre plus, et de mettre en pratique des alternatives. Les altermondialistes disent : « Un autre monde est possible ». Souvent, on se demande de quel monde veulent-ils parler ? Je ne connais qu’un monde, c’est celui ci, et il faut bien y vivre, malgré les problèmes et les difficultés. Il y a le monde tel qu’il est organisé par les marchands, les banquiers, les partisans de la mondialisation, et qui nous écrase, nous abrutit, et organise la misère pour tous, et la richesse pour quelques-uns. Il y aussi dans ce monde des gens qui vivent autrement, qui se battent pour rendre ce monde habitable. Nous en faisons partie et nous essayons de mettre en pratique, ou bien d’informer sur ces alternatives. En matière d’alimentation d’abord, avec le club agro-écologie et l’amap, mais également en matière d’énergie, d’habitation, d’information...
La solidarité internationale est un volet important de vos activités, comment se manifeste concrètement cette solidarité ?
La solidarité internationale chez nous, c’est d’abord une certaine vision du monde, des rapports entre les peuples, c’est une vision politique des choses. Elle se manifeste par notre existence même, puisque nous proposons, à travers notre bibliothèque et nos activités de partager quelques-uns des privilèges qui ont fait de nous ce que nous sommes. Nous ne sommes pas là pour aider les gens, dans une logique social ou humanitaire, mais plutôt pour vivre ensemble une prise de conscience que le monde actuel est fou, plein d’injustices, que la nature est en danger par notre faute, et qu’il nous faut changer nos modes de vie... A part cela, nous accueillons des étrangers, d’autres pays d’Afrique, ou du reste du monde, pour travailler ensemble, selon cette même vision, à nos différentes activités. Par ailleurs, nous sommes préoccupés et intéressés, et nous exprimons notre solidarité régulièrement avec tous ceux qui luttent dans le monde pour en finir avec l’oppression et l’injustice... Nous entretenons des relations avec de nombreux groupes, et personnes qui se mobilisent pour construire au quotidien cet autre monde que l’on appelle de nos vœux...
Quelles sont les principales activités de votre centre et quel bilan faites-vous de l’année en cours ?
La bibliothèque, les projections de films, les débats, les spectacles (concert, théâtre, danse, arts plastiques, mode, etc...), mais aussi la promotion de l’agro-écologie, de l’agriculture biologique à travers notre partenariat avec un Centre de Formation Agricole et de Production Ecologique, de Kpalimé, la mise en place du réseau Accueil Paysan.. Nous accueillons aussi des bénévoles et des volontaires internationaux avec différentes missions... L’année 2013 qui est en cours est notre troisième année d’existence. Nous poursuivons notre marche vers l’autonomie et l’indépendance. L’AMAP marche bien, se développe. Nous avons aussi réussi à nous associer en réseau avec d’autres bibliothèques de Lomé (Réseau Lire Togo). Cette année, nous avons aussi fondé le réseau des centres culturels de Lomé. Nous pensons que travailler ensemble, avec les autres, est très important, et peut contribuer à un changement de mentalité... C’est très positif, c’est vrai que trop peu de gens nous connaissent pour le moment, mais petit à petit, ça évolue et grandit...
Votre centre, c’est aussi un engagement bio, avec la Première rencontre de l’agro-écologie ce mois d’août au Togo, pourquoi une telle innovation dans un pays où pauvreté oblige peut-être, l’écologie est reléguée au second plan ?
Et c’est dommage. L’agro-écologie, c’est plus que l’écologie, c’est l’utilisation de la nature pour la production agricole. Il y a au Togo des gens très avancé dans le domaine, mais ils sont peu connus, très peu ou pas du tout encouragé. Nous avons essayé de réunir les meilleurs d’entre eux, pour un premier contact tous ensemble, qui nous ménera sans doute à la création d’un réseau des agro-écologistes du Togo. C’est ainsi qu’on sera plus fort ensemble, pour la promotion de ce mouvement, et le bien être des togolais... L’agro-écologie ne demande pas de moyens financiers, c’est surtout des connaissances simples, à acquérir, l’agro-foresterie, l’association à l’élevage, des choses que les gens connaissent parfois, et pratiquent sans le savoir... Les plus grandes agencent de l’ONU, comme la FAO reconnaisent depuis longtemps l’agro-écologie comme une réponse aux enjeux de la pauvreté, pourtant, cela semble bien peu intéresser les dirigeants... Qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre ? On n’a pas besoin d’eux pour le faire !
Le centre mytronunya a mené une multitude d’activités cette année, ont-elles contribué, ces initiatives, au processus électoral de quelque manière que ce soit ?
Avec d’autres organisations de la société civile, nous avons participé à certaines activités en amont des élections, essentiellement des forums de discussions, où nous avons exprimé notre point de vue. Avant le scrutin, c’était l’inquiétude qui dominait sur les risques d’une flambée de violence. Nous nous réjouissons que cela n’ait pas été le cas. Pour autant, nous maintenons notre point de vue selon lequel la situation de crise que le pays connaît pourrait donner lieu à des épisodes de révolte, tels que d’autres pays l’ont connus... Les périodes électorales sont des périodes à risque. Nous verrons en 2015 si les organisateurs du scrutin auront opéré les réformes nécessaires pour un scrutin juste et apaisé. L’enjeu électoral est important, certes, mais le changement pourrait aussi passer par ailleurs, à travers nos actions quotidiennes, ici et maintenant, tous les jours... Évidemment que l’alternance est souhaitable, pour en finir avec top de souffrances et d’injustices, mais cela doit-il forcément passer par des élections ?
Vous organisez très souvent des conférences sous divers angles et sur divers thèmes, quels impacts ont-elles sur le quotidien des togolais ?
Assez peu d’impact en réalité. D’ailleurs, les togolais sont forts peu nombreux à y participer. C’est ça la réalité. Mais nous espérons tout de même que les quelques personnes qui y participent en retirent des idées, des envies, et contribuent à leur manière à faire évoluer les mentalités... Nous ne sommes pas pressés, et nous savons que nous sommes tout petits. Cela ne nous gêne pas. C’est toujours des petits groupes très déterminés, avec une vision, qui ont contribué à des changements positifs dans le monde. On s’inscrit dans cette dynamique...
Avez-vous des projets particuliers pour 2013 ou pour 2014 ?
En septembre, nous commençons un cycle de formation pour les jeunes en agriculture biologique à Kpalimé. Nous allons aussi mettre en place une coopérative de maraîchers biologiques sur le lac ouest de Lomé, fournissant des emplois, et des légumes sains, dans une zone assez défavorisée de Lomé. Nous travaillons également à la sortie d’un Annuaire des Artistes du Togo pour décembre 2013. On aimerait organiser une rencontre internationale de jeunes, pour l’été 2014, et mettre en place le réseau Accueil Paysan du Togo... Pour tous ces projets, notre équipe s’agrandit, et nous avons toujours besoin d’engagements bénévoles...
De tous ces projets, lequel vous tient le plus à cœur ?
J’ai envie de démontrer aux jeunes sans emplois, à tous, que la vie dans le monde rural, aux villages peut être un vrai paradis, avec tout le confort dont on peut rêver, une ouverture sur le monde, et ne manquer de rien. Pour cela, il faut l’expérimenter, et accompagner des jeunes dans la réalisation de leurs rêves. C’est un véritable défi, qui prendra du temps, sur lequel nous travaillons dès maintenant. La création du réseau Accueil Paysan, à mi chemin entre le développement rural agricole et le tourisme, sera importante pour réussir.
Réalisation : Aida Sepopo EKLU / Panorama
Source :www.mytronunya.info

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