Malgré le principe de la « libre circulation des
personnes et des biens » dans l’espace Cedeao et bien que par endroit
des barbelés sont installés entre le Togo et le Ghana, les militaires
togolais font leurs affaires. Sur fond d’intermédiaire, ils rançonnent
les passants qui pour une raison ou une autre, choisissent de traverser
la frontières aux passages gardés par les militaires.
Les agents des services d’immigration aux postes frontières s’adonnent à des actes répréhensibles. Des actes qui contreviennent aux principes de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Cedeao. Ces agents qui sont habiletés aux contrôles aux postes frontières alimentent ou couvrent plusieurs réseaux de trafic illicites notamment de drogue, de faux médicaments et de plusieurs produits issus de la contrefaçon qui sont déversés sur les marchés. Le poste frontière de Kodjoviakopé est mis en cause plusieurs fois pour sa porosité et la malléabilité de ses agents qui avec un peu d’argent laissent passer des produits contrefaits. Mais ces derniers ne sont visiblement pas les seuls à profiter d’un système de corruption ignominieuse et ahurissante, car à quelques mètres seulement d’eux, s’organise la grande corruption, à ciel ouvert.
Mercredi 06 janvier 2016, il est 7 heures. Aux postes frontières clandestins de Casablanca les populations sont nombreuses comme d’habitude à traverser de part et d’autres ce matin-là. Deux militaires sont en charge à un poste. Le premier, 25 ans environ, un long bâton en main, une Kalachnikov en bandoulière et souriant. C’est lui qui arrête les passants et reçoit l’argent. Sous un arbre, le second assis sur une moto, un béret bleu foncé sur la tête sur lequel on peut lire « commando spéciale », Kalachnikov en bandoulière aussi, le regard fermé, il surveille attentivement son collègue et l’interpelle quant un passant manque de faire le geste. Ce passage est exclusivement réservé aux piétons et aux conducteurs d’engins à deux roues, les voitures n’ont pas le droit de passer, de toutes les façons la voie est trop étroite.
D’après les décomptes effectués, en moyenne quatre cent (400) à cinq cent (500) personnes traversent quotidiennement ce passage. « Les passants doivent glisser une somme forfaitaire pour avoir l’autorisation de passer, exceptés quelques habitants du quartier dont ils ont parfaitement connaissance. Cette somme est comprise entre cent (100) francs Cfa et deux cent (200) francs CFA pour les piétons et entre 300 et 500 FCFA pour les motos. Et l’addition est encore lourde quand les conducteurs transportent des bagages ou des marchandises », raconte un habitant du quartier préférant garder l’anonymat.« Même si vous habitez ici, avant de passer de l’autre côté vous devez obligatoirement les saluer. Si non ils (les militaires) vont vous demander de payer », ajoute pour sa part un conducteur de taxi-moto, habitué des lieux et qui vient chercher souvent des clients à ce niveau de la frontière.
« L’un de mes frères qui transportait des fruits pour femme sur une moto de l’autre côté vers Gbossimé, a payé à chacun de ses passages 200 FCFA. A son cinquième passage, il a remis aux militaires 100 FCFA, ils ont refusé. Et ils ont pris chacun cinq oranges à la places de l’argent. Ça se passe toujours de cette manière ici. Ne soyez pas surpris. En fait, c’est la règle », renchérit Yacoubou, un habitant du quartier. Payer son passage devient donc une obligation pour les populations avec la peur de subir en cas de non respect de la « règle » la foudre de ces militaires dont l’identification du régiment auquel ils appartiennent est quasi mission impossible (il n’est inscrit sur leur béret que la mention « commando spéciale »).
La cagnotte…
Un petit calcul montre qu’en moyenne, le soir, ces militaires véreux fond un chiffres d’affaires qui se situe entre 40 000 FCFA et 50000 FCFA par jour et par semaine entre 280 000 et 300 000 FCFA. Une somme colossale qui représente cinq (5) fois le salaire de certains militaires. Le problème c’est que l’on ne sait si la totalité de cette somme va dans la poche de ces militaires qui s’érigent en percepteur d’impôts ou si elle profite à des officiers supérieurs des Forces armées togolaises.
Pourquoi les populations acceptent de payer ?
« Nous savons qu’il est interdit de passer par là. Mais on le fait parce que nous gagnons du temps, notre maison n’est pas loin d’ici », témoigne Kwame un Ghanéen, la trentaine à peine, employé dans une boutique à quelques mètres de la frontière du côté togolais.
Un point de passage clandestin à la fronière
Pour d’autres, c’est pour éviter des tracasseries administratives tout simplement qu’ils préfèrent ce passage clandestin de la frontière. C’est ce que Akoua, 50 ans environ, rendant visite à sa sœur à Aflao, déclare sans concession, « quand vous passez par Kodjoviakopé (le poste frontière normal), les services d’immigrations vous demandent des papiers que la plupart d’entre nous n’ont pas. Alors vous devez leur ‘’glisser’’ quelques pièces pour qu’ils vous laissent passer. Ici c’est moins cher en plus vous n’avez pas à montrer des papiers ».
Un potentiel canal de transport de drogue et autres
Vu ce qui se fait comme contrôle sommaire aux postes frontières clandestins, il est évident que les trafiquants de drogues et autres contrebandiers n’ont plus à chercher loin pour faire entrer ou sortir leurs produits illicites. Puisque la nuit plusieurs choses indélicates pouvaient traverser sans encombre cette frontière moyennant un gros dessous de table. Surtout les fils-barbelés installés à certains endroits pour lutter contre l’insécurité ont été sciés. Les militaires ont placé des réseaux de jeunes subordonnées qui font la loi à ces passages. De Kodjoviakopé à Nyékopnakpoé, le fil-barbelé a été coupé à plusieurs endroits soigneusement gardés. La situation est encore pire au niveau de Casablanca où il n’y a pas de fil-barbelé.
Il faut aussi souligner que c’est par ces canaux avec complaisance de ces militaires que les motos volées au Togo se retrouvent facilement au Ghana
Ce qui revient à s’inquiéter sérieusement sur le travail patriotique qu’effectuent ces militaires dont l’honneur est largement entaché par la pratique que ces derniers ont instaurée. « Ces militaires en voyant ce qu’ils font ici la journée ne peuvent pas nous dire que la nuit rien de plus grave et de plus dangereux ne se fait. Dans tous les cas, je n’ai aucune confiance en eux », affirme en colère un passant, avant de conclure « on se demande où sont les autorités de ce pays où ces gens qui sont sensés montrer l’exemple sont devenus des hommes sans foi ni loi ».
Ces pratiques intolérables devraient préoccuper les autorités togolaises car il en va même de la sécurité du pays. En ce moment où les terroristes sèment la terreur dans certains pays de la sous-région ces manquements et pratiques ne devraient pas être tolérés surtout à l’approche du sommet de l’Union africaine sur la sécurité maritime qui s’annonce à grands pas. Sans oublier la quiétude de nos paisibles populations.
Source : [08/01/2016] Le Canard Indépendant
Les agents des services d’immigration aux postes frontières s’adonnent à des actes répréhensibles. Des actes qui contreviennent aux principes de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Cedeao. Ces agents qui sont habiletés aux contrôles aux postes frontières alimentent ou couvrent plusieurs réseaux de trafic illicites notamment de drogue, de faux médicaments et de plusieurs produits issus de la contrefaçon qui sont déversés sur les marchés. Le poste frontière de Kodjoviakopé est mis en cause plusieurs fois pour sa porosité et la malléabilité de ses agents qui avec un peu d’argent laissent passer des produits contrefaits. Mais ces derniers ne sont visiblement pas les seuls à profiter d’un système de corruption ignominieuse et ahurissante, car à quelques mètres seulement d’eux, s’organise la grande corruption, à ciel ouvert.
Mercredi 06 janvier 2016, il est 7 heures. Aux postes frontières clandestins de Casablanca les populations sont nombreuses comme d’habitude à traverser de part et d’autres ce matin-là. Deux militaires sont en charge à un poste. Le premier, 25 ans environ, un long bâton en main, une Kalachnikov en bandoulière et souriant. C’est lui qui arrête les passants et reçoit l’argent. Sous un arbre, le second assis sur une moto, un béret bleu foncé sur la tête sur lequel on peut lire « commando spéciale », Kalachnikov en bandoulière aussi, le regard fermé, il surveille attentivement son collègue et l’interpelle quant un passant manque de faire le geste. Ce passage est exclusivement réservé aux piétons et aux conducteurs d’engins à deux roues, les voitures n’ont pas le droit de passer, de toutes les façons la voie est trop étroite.
D’après les décomptes effectués, en moyenne quatre cent (400) à cinq cent (500) personnes traversent quotidiennement ce passage. « Les passants doivent glisser une somme forfaitaire pour avoir l’autorisation de passer, exceptés quelques habitants du quartier dont ils ont parfaitement connaissance. Cette somme est comprise entre cent (100) francs Cfa et deux cent (200) francs CFA pour les piétons et entre 300 et 500 FCFA pour les motos. Et l’addition est encore lourde quand les conducteurs transportent des bagages ou des marchandises », raconte un habitant du quartier préférant garder l’anonymat.« Même si vous habitez ici, avant de passer de l’autre côté vous devez obligatoirement les saluer. Si non ils (les militaires) vont vous demander de payer », ajoute pour sa part un conducteur de taxi-moto, habitué des lieux et qui vient chercher souvent des clients à ce niveau de la frontière.
« L’un de mes frères qui transportait des fruits pour femme sur une moto de l’autre côté vers Gbossimé, a payé à chacun de ses passages 200 FCFA. A son cinquième passage, il a remis aux militaires 100 FCFA, ils ont refusé. Et ils ont pris chacun cinq oranges à la places de l’argent. Ça se passe toujours de cette manière ici. Ne soyez pas surpris. En fait, c’est la règle », renchérit Yacoubou, un habitant du quartier. Payer son passage devient donc une obligation pour les populations avec la peur de subir en cas de non respect de la « règle » la foudre de ces militaires dont l’identification du régiment auquel ils appartiennent est quasi mission impossible (il n’est inscrit sur leur béret que la mention « commando spéciale »).
La cagnotte…
Un petit calcul montre qu’en moyenne, le soir, ces militaires véreux fond un chiffres d’affaires qui se situe entre 40 000 FCFA et 50000 FCFA par jour et par semaine entre 280 000 et 300 000 FCFA. Une somme colossale qui représente cinq (5) fois le salaire de certains militaires. Le problème c’est que l’on ne sait si la totalité de cette somme va dans la poche de ces militaires qui s’érigent en percepteur d’impôts ou si elle profite à des officiers supérieurs des Forces armées togolaises.
Pourquoi les populations acceptent de payer ?
« Nous savons qu’il est interdit de passer par là. Mais on le fait parce que nous gagnons du temps, notre maison n’est pas loin d’ici », témoigne Kwame un Ghanéen, la trentaine à peine, employé dans une boutique à quelques mètres de la frontière du côté togolais.
Un point de passage clandestin à la fronière
Pour d’autres, c’est pour éviter des tracasseries administratives tout simplement qu’ils préfèrent ce passage clandestin de la frontière. C’est ce que Akoua, 50 ans environ, rendant visite à sa sœur à Aflao, déclare sans concession, « quand vous passez par Kodjoviakopé (le poste frontière normal), les services d’immigrations vous demandent des papiers que la plupart d’entre nous n’ont pas. Alors vous devez leur ‘’glisser’’ quelques pièces pour qu’ils vous laissent passer. Ici c’est moins cher en plus vous n’avez pas à montrer des papiers ».
Un potentiel canal de transport de drogue et autres
Vu ce qui se fait comme contrôle sommaire aux postes frontières clandestins, il est évident que les trafiquants de drogues et autres contrebandiers n’ont plus à chercher loin pour faire entrer ou sortir leurs produits illicites. Puisque la nuit plusieurs choses indélicates pouvaient traverser sans encombre cette frontière moyennant un gros dessous de table. Surtout les fils-barbelés installés à certains endroits pour lutter contre l’insécurité ont été sciés. Les militaires ont placé des réseaux de jeunes subordonnées qui font la loi à ces passages. De Kodjoviakopé à Nyékopnakpoé, le fil-barbelé a été coupé à plusieurs endroits soigneusement gardés. La situation est encore pire au niveau de Casablanca où il n’y a pas de fil-barbelé.
Il faut aussi souligner que c’est par ces canaux avec complaisance de ces militaires que les motos volées au Togo se retrouvent facilement au Ghana
Ce qui revient à s’inquiéter sérieusement sur le travail patriotique qu’effectuent ces militaires dont l’honneur est largement entaché par la pratique que ces derniers ont instaurée. « Ces militaires en voyant ce qu’ils font ici la journée ne peuvent pas nous dire que la nuit rien de plus grave et de plus dangereux ne se fait. Dans tous les cas, je n’ai aucune confiance en eux », affirme en colère un passant, avant de conclure « on se demande où sont les autorités de ce pays où ces gens qui sont sensés montrer l’exemple sont devenus des hommes sans foi ni loi ».
Ces pratiques intolérables devraient préoccuper les autorités togolaises car il en va même de la sécurité du pays. En ce moment où les terroristes sèment la terreur dans certains pays de la sous-région ces manquements et pratiques ne devraient pas être tolérés surtout à l’approche du sommet de l’Union africaine sur la sécurité maritime qui s’annonce à grands pas. Sans oublier la quiétude de nos paisibles populations.
Source : [08/01/2016] Le Canard Indépendant
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