Wednesday, July 29, 2015
Togo : Faure Gnassingbé, l’ennui ou la désertion du pouvoir ?
Faire de la politique autrement, ce n’est pas gagner du temps. Mais, c’est affirmer la possibilité d’oser ». Dans, A la recherche de la politique perdue, œuvre de maturité que vient de publier, à quatre-vingt douze ans, sur l’anthropologie politique une sommité de la matière grise Georges BALANDIER, il y a une fécondité de la réflexion sur la politique qui coïncide étonnamment avec la situation togolaise et le règne invisible de « Bébé GNASS ».
Georges BALANDIER distingue deux types de pouvoir dans la gestion de la communauté nationale : le pouvoir gouvernant et le pouvoir symbolique – L’ensemble des institutions de la République, comme par exemple l’Exécutif, le gouvernement, les ministres, les organes judiciaires, le parlement constitue le pouvoir gouvernant. Il s’érode, se ravine pour devenir une pacotille dès qu’il est en déphasage avec les aspirations réelles et profondes des citoyens.
Le pouvoir symbolique est justement l’incarnation populaire. Il porte la grande expression de la quotidienneté du peuple et l’avenir auquel il aspire. Il doit être la substance du pouvoir gouvernant. Les outils de la gouvernance sont dans l’ordre du pouvoir gouvernant, tandis que la matière à transformer, à modeler pour la réinventer au goût et à l’admiration massive des citoyens n’est rien moins que le pouvoir symbolique. L’APG, un consensus national, les réformes, les élections locales, la question sociale intègrent le pouvoir symbolique au Togo. Ce que Georges BALANDIER appelle « une erreur d’emploi du pouvoir », c’est la juxtaposition du pouvoir gouvernant et du pouvoir symbolique. Or, les deux devraient être dans une articulation pour recréer l’ « espace politique ».
C’est l’ « erreur d’emploi du pouvoir » qui fait perdre aux gouvernants une liaison avec le territoire et les populations ne se reconnaissent pas dans ceux qui ont la prétention de régenter la vie publique. Cette analyse de l’auteur nous offre le triste miroir d’un pays en situation d’hors-jeu sur les principes du vivre-ensemble. Les fondements d’une histoire commune dans un mouvement synchronique se sont effilochés et se sont dissolus dans l’obscure ambition d’un individu et ses rêveries solitaires. Ainsi, la fonction devient évanescente, inopérante et l’espace géographique, topologique échappe aux institutions. Ce phénomène d’érosion des institutions provoque ce que Georges BALANDIER nomme « la perte du territoire d’intervention ».
Le « fils éclairé » est malheureusement happé par ce syndrome de déficience d’engagement et le troisième mandat est de plus en plus marqué par le mal absolu de l’affaissement politique. Être déclaré gagnant à 58% lors de la présidentielle sans trop savoir de ce qu’il faut faire de cette «éclatante victoire », c’est le grand paradoxe d’une victoire maudite qui tourne à vide comme un accaparement de luxe d’un « kleptocrate ». Celui qui criait : « Nous n’avons pas du temps à perdre» dans sa campagne électorale menée avec tout l’appareil administratif et militaire avec la garantie de l’assaut des urnes, dans une « opération hibou », a plutôt l’air surpris de la proportion du bourrage d’urnes pour la conservation de son fauteuil de legs. Peut-être, la prestidigitation électorale a-telle ses secrets, un coût si tétanisant qu’on pense plus à le payer; ce qui entretient un traumatisme plus qu’une réactivité de créativité dans l’engagement politique.
Dans la déconstruction d’une victoire marquée par l’inertie de gouvernance, le pouvoir pour le pouvoir ne semble-t-il pas être l’objectif du « petit prince » imbu de jouissance d’un règne de plaisance ? Une République qui n’a rien à proposer de viable pour les populations et qui ne sait pas respecter ses engagements n’est-elle pas dans un déni d’autorité et dans une perte de sa puissance symbolique ?
1) Le nombrilisme d’un règne et les particularités du 1er et du 2e mandat
Nous avons pour spécialités de régler après la présidentielle les conflits postélectoraux, les questions de protestation et de violence qu’entraînent l’usurpation de la victoire. Le premier mandat du « petit » et son second sont jalonnés de graves crises sociopolitiques à gérer par de faux accords ou par l’appareil de répression d’une gouvernance par la rapine et par l’effraction.
Le cycle des turbulences et des violences qu’engendre la fraude électorale étant tout au moins une exonération de gratification de la délinquance électorale du troisième mandat, le règne de « bébé GNASS » n’a plus d’objet. Il tombe dans le désœuvrement sonore. Comme l’oisiveté est la source de tous les vices, le roulement politique s’enlise dans un somnambulisme de gravité. De sa caverne, le régime accouche tous les avortons de son renoncement à l’effort et à la créativité. Cet affaissement conceptuel le livre à toutes les provocations inciviques, immorales, inhumaines avec une psychologie de crime en territoire conquis où les sujets n’ont aucun pouvoir à défier le maître. L’isoloir des médiocrités est la marque des gouvernants de seconde zone. Ils se moquent des grands enjeux sociaux, politiques, économiques, éducatifs, sécuritaires, sanitaires et leur abîme d’intelligence fait le traumatisme de l’histoire des peuples.
La polarisation politico-clanique de la dynastie GNASSINGBE est exclusivement dans une fixation maladive de conservation d’un règne de legs, d’héritage qui n’a que faire de la précarité et de l’indigence aggravées des pauvres togolais pressés jusqu’à la dernière goûte de leur substance vitale pour faire vivre un petit cercle de vautours insatiables. Le peuple togolais en aspiration démocratique est transformé en un corps social de servage, un imbécile de service dupé aisément ou mis au fer, dans un braquage électoral continu dont il a perdu ses ressources de défense face à l’immensité des crimes de représailles qui a étalé sous ses yeux tant d’honneurs et des tombes.
Le premier mandat du « fils héritier » et sa couronne sanglante ont été dans une course de normalisation avec l’artifice d’un nettoyage du sang vif des Togolais pour rendre le règne fréquentable. Nous avons passé cinq (05) ans à la vadrouille diplomatique, à la conquête des partenaires au développement pour une onction à la criminalité. Nous avons brandi tous les masques de nos remords avec nos tambours de contrition pour une réconciliation. Nous avons fait le tour du monde pour nous inspirer des graves accidents de l’histoire des autres peuples et des ressorts de leur rebond. Nous avons quémandé des fonds pour organiser l’œuvre héroïque de la réconciliation sans être prêts à en assumer les conclusions de nos étapes cathartiques de vérité. Une catharsis sans un suivi et sans les inférences qu’elle impose est une perte de temps qui nous expose à la rechute de nos traumatismes.
En réalité, l’enjeu de ce tour du monde, de l’Accord Politique Global et de cette comédie de réconciliation, c’est d’attirer l’investissement au nom de la confiance retrouvée dans un pays frappé d’ostracisme et à la périphérie d’un monde intégré. Nous avons rasé presque toutes les chancelleries pour une profession de notre bonne foi. Une fois que l’assistance s’est manifestée à notre secours, nous nous sommes détournés de nos engagements parce que manquons cruellement de principes éthiques et moraux.
Notre visage de petites gens n’éprouve aucune honte de nous déguiser grossièrement à nous-mêmes. Que pouvons-nous construire de grand sur le mensonge ? La réponse semble être dans les Mémoires de Louis XIV, roi de France lorsqu’il écrit : «L’artifice se dément toujours, et ne produit pas longtemps les mêmes effets que la vérité ».
Cinq années passées dans le gouffre des simulacres, sous l’ombre d’une évolution manquée qui pourrit le second mandat renforcé de tous les actes détraqués d’une mentalité fétide qui se sauraient offrir un ascenseur de sautage à un peuple meurtri. La récidive de la fraude électorale est encore au rendez-vous avec la destruction du centre de compilation des résultats de l’Opposition au CESAL. La longue marche de l’ANC et partis affilés formant le FRAC (le Front Républicain pour l’Alternance et le Changement) durant cinq bonnes années autant que la répression fauve contre l’Opposition selon l’humeur du régime de transgression qui, pendant ce temps, se déchire profondément sur les dividendes de sa fausse gloire et les ambitions supposées des faiseurs de roi. Séyi MEMENE, Zacharie NANDJA, Zoumarou GNONFAM sont remerciés dans une sournoise mise à l’écart. TIDJANI, Kpatcha GNASSINGBE, Pascal BODJONA sont écrabouillés par les sabots d’une justice de cheval de Troie.
Nous avons passé dix (10) ans dans l’adversité et la délinquance avec tous les crimes économiques, des abominations en crimes de masse, en criminalité judiciaire et en aggravant la question sociale, les enjeux de la réconciliation et en cumulant des dettes dont nous ne savons plus comment nous en tirer.
2) Le troisième mandat de la trahison
La fonction bipolaire de la conscience, c’est l’approbation et la réprobation. L’émergence de la personnalité de base de notre différence spécifique par rapport à la nature animale se délivre dans l’autonomie de notre conscience. Ce qui suppose que le processus de socialisation est le moule dans lequel s’édifie notre éducation où les totems et les tabous, les normes et les convenances de la civilité alimentent le libre jugement de notre activité cognitive, de notre intelligence éthique. La moralité et l’Universelle raison transparaissent de notre personnalité, quand notre conscience devient le contremaître de l’empire de nos instincts. La puissance de notre éducation nous démarque de la sottise, de la cruauté, de la grossièreté, de la fausseté parce qu’elle a pour socle la honte.
La honte est la sève nourricière de l’éducation. L’aiguillon de la conscience pour un sursaut, l’honneur, le mérite, l’élévation, la grandeur réside là, dans ce point focal de la personnalité où nous nous sentons humains parce que nous existons par la reconnaissance des autres et nous nous sentons emprisonnés dans leur regard. Notre éveil à l’humain est dans la manifestation de la honte. Cette référence est fondamentale. Elle est le cachet de notre socialité, de notre appartenance au monde et de notre situation d’ « animal politique » tel que l’exprime ARISTOTE et le confirme Jean-Paul SARTRE dans Huisclos : « L’enfer, c’est les autres ».
Au Togo, « le fils éclairé » déroge à toutes les prescriptions, à la normalité, à l’honneur et son parcours dément une absence de valeur dans une personnalité inexistante qui se moque du pouvoir symbolique sans se sourciller du regard des autres, de ses propres concitoyens. Les hommes qui sont faits pour être coupables refusent l’aurore, la clarté, la droiture, la rectitude, la justice, le beau, le bien. Ils sont dans une démentielle raison et dans des monstruosités morales. Ils ne jurent que par le parjure et n’éprouvent aucune peine à voir leurs semblables dans l’abîme de la dépersonnalisation par l’indigence et la souffrance. Leur perversion du sens est le ferment de leur cynisme débridé.
L’homme qui vociférait partout qu’il veut un troisième mandat pour régler la question sociale au Togo est dans un délit de mensonge et d’injure public à l’endroit de la communauté nationale sans la moindre honte de tomber sous le regard de la République. Cette légèreté à prendre des Togolais pour des idiots est un abaissement loyal de dernier cran qui expose la misère d’un règne gonflé de futilités. La conclusion solennelle du troisième mandat est à la fanfare d’une corvée de surcharge crapuleusement imposée aux Togolais comme un supplice du collier pour les remercier d’ « avoir accordé » un troisième mandat au « fils du Timonier » qui en use en toute malveillance, sans intelligence émotionnelle ni sensibilité humaine. La rare démence de justification d’une augmentation des produits pétroliers, pendant que le cours du brut s’effondre considérablement et que les pays voisins diminuent le prix à la consommation, et au pire des cas, optent pour la stabilité du prix à la vente, annonce l’esquisse du troisième mandat.
LAUREAMONT a vu juste dans Les chants de Maldoror lorsqu’il écrit : « On estime les grands desseins, lorsqu’on se sent capable des grands succès ». Quel succès sur la question sociale reconnaît-on à Faure GNASSINGBE en dix ans de pouvoir ? Où sont les propagandistes et les troubadours de tous crins qui reprenaient en chœur l’évasion d’annonce d’un mandat social ? Il est naturellement plus facile de faire ce qu’on est que d’imiter ce qu’on n’est pas.
Les déviances et les errances d’un règne en prouesses de délinquance s’enflent. Nous peuple nous devons payer les dividendes d’une conquête de jouissance du pouvoir des intouchables qui ont toujours des primes et des promotions à la prédation économique. Ils ont fait de nous leurs esclaves. La confiscation de la richesse nationale par des vautours, des hyènes, des charognards et une meute de rabatteurs impénitents sous les yeux d’un chef jouisseur bien tranquille d’une avidité du gain de la délinquance sème les germes d’une implosion sociale en ce troisième mandat.
Un pays se réinvente sur la base des valeurs. « Bébé GASS » en est dramatiquement séché et sa horde de courtisans ne vont pas bien longtemps continuer à amuser les Togolais en décrétant une lutte contre la corruption. La pédagogie par l’exemple est ce qui vaut le mieux. La politique est une suite de conséquences où l’acte isolé n’a aucune interférence sur le déroulement de l’histoire des Républiques. En refusant la transparence, la réparation démocratique, les réformes pour lesquelles, souverainement, le peuple togolais a pris l’engagement de construire un nouvel avenir, « Le fils du Timonier » est tombé pieds joints dans un piège où grondent les dettes politiques, sociales et les graves secousses sismiques de la prédation, de l’endettement pour une consumation dramatique de son règne.
Source : [28/07/2015] Didier Amah Dossavi, L’Alternative N°443
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