Ce
n’est donc plus qu’une question de semaines, voire de mois pour les
plus optimistes. A moins d’une improbable réconciliation, l’implosion
du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) semble inéluctable. Ce
parti, jadis la principale force politique du pays, refuge avec
quelques autres, de ceux qui ne voulaient pas du face-à-face crisogène,
entre une certaine opposition radicale inopérante et un pouvoir sûr de
son fait, va donc rallonger la liste des grandes formations appelées à
célébrer leur passé glorieux mais révolu. La faute est nécessairement
collective. Mais la situation est en grande partie la conséquence du
refus de Me Yawovi AGBOYIBO d’apprendre de l’histoire et de passer la
main, définitivement.
Il
a beau jouer de sa dextérité politique légendaire et jouir de sa
proximité avec certains médias pour accréditer la thèse d’un Brutus
trahissant César et commettant un parricide. Mais difficile pour les
observateurs avisés de la vie politique togolaise d’avaler une telle
couleuvre ou de se laisser convaincre par son « story telling », avec
une ficelle aussi grosse. En effet, Me Yawovi AGBOYIBO, président
d’honneur du CAR continue d’entretenir la polémique autour de trois
sujets majeurs, pour conforter la légitimité de son retour programmé.
Il
s’agit de convaincre que non seulement le président sortant, Me Dodji
APEVON n’a pas été à la hauteur de sa mission, accumulant échecs et
déficit d’initiatives , mais a également largement dépassé le terme
de son mandat.
En
outre, ses partisans allèguent de ce que la ligne du parti soit de
plus en plus dévoyée. Entre la tentation radicale avec un rapprochement
de l’ANC souhaitée par Me APEVON et la « proximité suspecte » de
certains cadres avec UNIR, le CAR serait menacé. Il urge donc repréciser
les fondamentaux du parti et de rappeler jusqu’où ne pas aller. Et
pour remettre le parti à l’endroit, qui mieux que son « président
fondateur », gardien des valeurs.
Pour
porter ce discours et crédibiliser le scénario, des responsables de
fédérations, opportunément réunis, somment le président du parti,
d’organiser sans délai un congrès. Une démarche en marge des
dispositions statutaires et une méthode curieuse qui ne saurait
cependant remettre en cause une évidence politique : la carrière de
l’ancien bâtonnier, quelque brillante qu’elle fût, est désormais
derrière lui. De fait, le considérer comme la solution pour redynamiser
le parti est une voie sans issue.
Il
est bien malheureux que l’un des pères de la démocratie togolaise, mal
célébré il est vrai, mais à qui l’Histoire rendra nécessairement
justice, se retrouve aujourd’hui à constituer un problème à sa propre
formation politique, le boulet qu’elle traine.
Quelles
que soient la complexité des intrigues montées et l’éloquence des
derniers hérauts de son retour, les Togolais ne seront pas dupes. Nos
compatriotes, militants, sympathisants ou non du CAR peuvent
difficilement s’enthousiasmer d’une reprise en mains par l’ancien
Premier ministre du parti. L’hémorragie annoncée avec le départ de
plusieurs cadres, la baisse de sympathie dans l’opinion ainsi que
l’absence de la voix du parti dans le débat actuel sur les réformes, ne
semblent pas l’émouvoir outre mesure. Il a choisi le jusqu’au-boutisme,
convaincu qu’il tiendra le parti. Ce qui est probable. Mais un parti
réduit à sa plus simple expression, « un roi qui n’aura plus de trône
qu’un rocher. »
MAUVAISE IDEE.
Pour autant, Me APEVON et ses amis ont-ils raison de quitter le parti et d’aller en créer un nouveau ?
Pas
si sûr. En effet, le paysage politique togolais est très bipolarisé et
il est difficile pour une troisième force d’émerger. Entre la majorité
au pouvoir et le principal parti d’opposition l’ANC avec ses alliés de
CAP 2015, se faire une place ne sera pas aisée. Bon nombre d’hommes
politiques ont tenté l’expérience pour se rendre à l’évidence de la
bipolarité. Quelle sera l’offre politique de Me APEVON et quel sera son
électorat ? Existe-t-il déjà ? Si oui, où était-il pour expliquer le
faible score du CAR lors des consultations électorales depuis 1998 ? Si
non, où ira-t-il le chercher, avec la centaine de partis politiques
existants ? Le risque pour le député de Lomé, est de se retrouver avec
une formation à la Djimon ORE ou Aimé GOGUE, connue et soutenue
davantage dans son milieu d’origine. Et il est vrai que dans la zone
ouatchi, spécifiquement dans le Vo, Dodji APEVON n’aura aucun mal à
implanter son parti et à se faire élire. Mais l’envergure nationale
suivra dans ces conditions, difficilement. Et au final, ce ne sera qu’un
parti de plus, vite relégué aux rangs des « plaisantins de la
République », comme les affublent avec beaucoup de méchanceté, un
confrère. Si la ligne souhaitée est majoritaire et que les cadres pour
l’essentiel sont contre le surréaliste retour du « bélier de Kouvé », il
eût été plus pertinent de faire valider cette position lors d’un
congrès et de prendre en main totalement et effectivement le CAR, en
marginalisant son « président fondateur », obligé de se mettre dans les
rangs et de faire profil bas. Malgré sa figure tutélaire.
L’INCONFORT DE JEAN KISSI:
Dans
ce contexte de guerre fratricide pour laquelle les couteaux sont de
sortie et aiguisés à l’extrême, c’est Jean KISSI qui se retrouve le plus
dans une position inconfortable. Sommé de prendre parti et de dire dans
quel camp il est, lui qui souhaite afficher une certaine neutralité qui
il est vrai, dans cette situation, est difficilement soutenable.
Entre
sa fidélité à Me AGBOYIBO avec lequel il entretient depuis plus de 30
ans des relations plus que politiques, et sa conviction d’un nécessaire
renouvellement de la classe politique, mais également ses amitiés avec
plusieurs cadres, il a visiblement du mal à trancher. Cette hésitation
est interprétée comme un soutien, un blanc-seing accordé au retour vers
le passé. Ce qui est d’ailleurs une lecture logique. Car il faut savoir
prendre ses responsabilités et la force de conviction de tourner le dos
à certains égarements, même venant de son mentor. « Quand on ne veut
pas, on dit non » disait un homme politique sud-africain.
Mais
l’agression dont il a été victime dans sa circonscription de Vogan n’en
est pas pour autant excusable, et ce guet-apens qui lui a été tendu
est simplement scandaleux. Les désaccords politiques, surtout au sein
d’un même camp, ne peuvent se résoudre avec des coups de poings. Au fond
et à l’analyse, il nous semble que la posture de Jean KISSI relève
d’une tactique politicienne. En suivant APEVON et Cie, il risque de
continuer à être tout numéro sauf le N°1. Et la perspective de le
devenir à court et moyen terme, au sein d’une nouvelle formation, est
plus éloignée que s’il restait avec le « bélier ». En effet, APEVON
lui-même et son entourage restent encore relativement jeunes. Tandis que
le « bélier » tire vers sa fin, aussi bien politique que biologique. Sa
place sera plus rapidement à prendre. Simple calcul politique.
DU PETIT LAIT
Pendant
qu’ils se combattent au CAR, c’est UNIR et l’ANC qui boivent du petit
lait. La première peut surfer sur la division congénitale de
l’opposition ; mais également compter sur son éparpillement dans un
contexte de débat public sur les réformes et la question des élections
locales.
Quant
au parti de Jean-Pierre FABRE, il peut enfin jouir de l’hégémonie tant
recherchée, n’ayant plus dans ses pattes, cette troisième force, quoique
affaiblie, qui est restée toujours audible, capable de propositions et
de positions fortes. L’ancien lieutenant de Gilchrist OLYMPIO ne
pleurera certainement pas l’implosion du CAR.
No comments:
Post a Comment