La Médiatrice de la République (une fois de plus) interpellée
Le week-end a été mouvementé, occupé par la tenue de la marche du Combat
pour l’alternance politique en 2015 (CAP 2015) pour réclamer les
réformes et l’organisation consensuelle du processus de la
décentralisation et des élections locales. Mais avant cette
manifestation, au cours de la semaine, c’est le rebondissement dans
l’affaire des incendies, avec des disculpations qui a défrayé la
chronique. Il est annoncé un (simulacre de) procès dont on imagine
d’ores et déjà l’issue. Mine de rien, c’est une autre tragicomédie qui
se joue dans ce dossier éminemment politique.
Vers une parodie de procès
C’était un souhait partagé que l’instruction qui devenait un serpent de
mer soit vite clôturée et que le procès organisé afin qu’on sache les
tenants et les aboutissants dans cette affaire des incendies qui traine
depuis plus de trois ans. Amnesty International, à l’occasion du 3e
triste anniversaire de ces sinistres d’origine criminelle, a remis la
pression sur le gouvernement togolais. Il y a eu enfin des avancées dans
le dossier. Le Doyen des juges d’instruction, Idrissou Tchagba a rendu
une ordonnance définitive de non-lieu partiel, de requalification et de
transmission de pièces en date du 9 mai 2016 annonçant la clôture de
l’instruction. L’essentiel à retenir, c’est la disculpation d’une
vingtaine de personnes dont le Directeur de Publication de Liberté, Zeus
Aziadouvo, inculpées dans ce dossier sur un coup de tête des seigneurs
de la Justice togolaise et leurs mandants, et la libération d’Hervé
Senou. Mais cette bonne nouvelle est accompagnée d’une mauvaise, le
maintien des inculpations de certains dont l’ex-député Kwami Manti, le
Coordonnateur du Collectif “Sauvons le Togo” (CST) Zeus Ajavon et trois
(3) députés à l’Assemblée nationale, Alphonse Kpogo, Ouro Akpo
Tchagnaou et Jean-Pierre Fabre. L’ordonnance a été transmise au
Procureur général près la Cour d’Appel de Lomé qui renvoie ainsi les
inculpés aux assises.
Parodie de procès, c’est à cela que l’on tend irréversiblement dans ce
dossier signalé. On s’en convaincrait mieux si l’on considère toutes les
péripéties mouvementées qui le caractérisent : instruction
exclusivement orientée contre les militants et leaders des partis
membres du CST, preuves fallacieuses présentées par l’Inspecteur Colombo
togolais – suivez les regards -, non orientation de l’instruction vers
les barons du pouvoir cités par le CST dans le rapport de ses
investigations et les premiers responsables de l’Etablissement public
autonome de gestion des marchés de Lomé (EPAM), non prise en
considération des mouvements suspects d’évacuation de marchandises par
certaines personnes visiblement avisées du plan machiavélique…
Le plus cocasse, la Justice togolaise n’a pas cru devoir prendre en
compte le rapport de l’enquête scientifique des experts français du feu
requis par le gouvernement togolais et qui ont évoqué le kérosène comme
le combustible utilisé pour faire consumer aussi vite les bâtiments. Et
pourtant la prise en compte de ce paramètre serait importante pour
orienter vers les vrais auteurs de ces incendies ! A chacun de
comprendre pourquoi le Doyen des Juges d’instruction a fermé les yeux
là-dessus. Selon les sources, le procès serait programmé à la mi-juin.
Une tragicomédie en préparation
Le Togo avait déjà du mal à faire route avec la démocratie. Mais le
procès annoncé dans cette affaire ne devrait pas l’ennoblir. On
l’évoquait tantôt, les résultats des experts français du feu, Hervé
Bazin et Major François Deblasi, ayant conclu à l’usage du kérosène – un
produit pas accessible sur le marché – ne sont curieusement pas pris en
compte par le Juge d’instruction et ne le seront sans doute pas par les
juges aux assises. A contrario, on se contentera des preuves et corps
du délit (sic) fournis à l’époque par le ministre de la Sécurité et de
la Protection civile, le Col Yark Damehame et constitués de bidons de 5
litres bleus, des boites d’allumettes, des bouteilles et un dispositif
présentés comme des cocktails Molotov, les préparations mystiques
qu’auraient effectuées les pyromanes…
Lors de l’audience, il y aura sans doute encore des révélations
accablantes des inculpés contre les personnes qui les ont
instrumentalisés à coups de promesses, les séances de tortures qu’ils
auraient subies afin de plonger les leaders de l’opposition, toutes
choses à même de faire annuler un procès sous d’autres cieux. On se
rappelle surtout la volte-face de Mohamed Loum, le principal accusateur
qui, dans une lettre adressée à Jean-Pierre Fabre le 16 mars 2013,
avouait avoir été conditionné pour accuser les leaders du CST et le
leader de l’ANC. « (…) Tout ce que j’ai déclaré sur les réunions du 5 au
8 Janvier tenues au siège de l’ANC sont faux et archifaux. Tout comme
les prétendues cérémonies auxquelles furent soumis les jeunes requis
pour l’incendie du Grand Marché de Lomé, au cimetière de Kamalodo ne
sont que des mensonges (…) Tout ce que j’ai déclaré devant le Procureur
m’a été dicté par les soins des trois capitaines, et mémorisé, par des
entrainements répétitifs. A vrai dire, tout cela ne constitue que des
montages pour accabler les personnes visées. Ils m’ont remis de l’argent
et ont promis de m’extrader après la procédure judiciaire, et que je
serai le héros de ces enquêtes mensongères, et que j’aurai une grosse
récompense de la part du Chef de l’Etat.
Le Procureur de la République m’a affirmé qu’il prendra des soins
particuliers pour assurer ma sécurité », déclarait-il. Mais tout cela ne
vaudra même pas un pet de lapin. Les juges iront au bout et
prononceront la sentence qui leur est remise (sic). Le procès dans le
dossier Kpatcha Gnassingbé en septembre 2011 en est une illustration
palpable. Les ex-inculpés disculpés par l’ordonnance du 9 mai dernier
auraient pu apporter beaucoup de témoignages vivants au procès. Mais il
leur est interdit de l’ouvrir, au risque de se revoir inculper. « Il y a
des gens qui ont été disculpés et qui sont venus raconter en public
comment on a essayé de les suborner (…) On les a appelés à Kara et on
leur a dit : « Avouez que c’est Fabre qui vous a envoyés » », révélait
le chef de file de l’opposition jeudi dernier lors de la conférence de
presse organisée conjointement avec Me Zeus Ajavon.
Parlant de sentence, les indiscrétions rapportent un plan de
condamnation de Jean-Pierre Fabre et de Zeus Ajavon à de lourdes peines
de prison, 20 ans notamment. Pour le leader du CST, ce serait une façon
de le punir pour son culot (sic) à emmerder le pouvoir avec ce
regroupement politique. Quant à Fabre, ce serait une manière pour le
pouvoir RPT/UNIR de coincer son plus farouche opposant. Ces deux leaders
iront sans doute passer des années en détention. Lorsqu’on sait
l’emmerde qu’ils ont créée pour le pouvoir, on a toutes les raisons de
craindre pour leur intégrité physique. Faut-il le rappeler, dans ce
dossier, l’un des inculpés, Etienne Yakanou a rendu l’âme après quelques
mois de détention. Hervé Senou, le dernier inculpé libéré a vu sa femme
et son enfant mourir…
Au-delà des têtes de Jean-Pierre Fabre et de Zeus Ajavon qui sont
décidément mises à prix, il est aussi prévu la dissolution de l’ANC, le
parti qui, en à peine cinq ans d’existence, s’est imposé comme le plus
populaire de l’opposition, marchant dans les cendres de l’Union des
forces de changement (UFC), et ainsi décapiter l’opposition. Au finish,
Faure Gnassingbé sera débarrassé des ronces (sic) et pourrait désormais
régner librement…Voilà le scénario échafaudé dans les arcanes du
pouvoir, l’épilogue attendu dans cette affaire. Jean-Pierre Fabre et
compagnie paieront ainsi pour des actes dont les auteurs sont d’ailleurs
facilement identifiables. Lui, ses partisans et les nombreux
admirateurs de la lutte légitime menée pour l’affranchissement du peuple
vont-ils accepter d’être mangés à cette sauce indigeste ?
C’est la question légitime qu’il urge de poser. « Ils peuvent toujours
rêver de m’envoyer en prison», a déclaré, tout flegmatique et l’air sûr
de lui le chef de file de l’opposition jeudi dernier. Des observateurs
voient même, à tort ou à raison, le risque de susciter un 5 octobre bis,
avec ce simulacre de procès annoncé…Il urge au demeurant que la
Médiatrice de la République, Mme Awa Nana intervienne pour éviter cette
tragicomédie qui se prépare tout en silence…
Tino Kossi
Liberté N° 2199 du Mardi 24 Mai 2016
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