Dans les rangs du gouvernement togolais
depuis 2010 en qualité de ministre des Postes et de l’Economie
numérique, Cina Lawson est une autre figure de proue du dynamisme
africain contemporain.
Diplômée de Science Po Paris et de Harvard notamment, Mme Lawson a fait
ses preuves au sein de grandes structures dont la Banque mondiale où
elle a travaillé en tant qu’analyste en projet télécoms ou la filiale
américaine d’Orange. Un parcours d'excellence qui lui a valu, en 2012,
la désignation « Young Global Leader » par le Forum économique mondial,
puis une place parmi les « 20 femmes les plus influentes en Afrique » du
magazine Forbes. A son poste de ministre au Togo, elle est très active
et travaille, dit-elle, pour un Togo toujours plus connecté. Dans un
entretien avec La Tribune Afrique, elle revient notamment sur le rôle
que devrait jouer la femme, en Afrique en général et au Togo en
particulier, dans la dynamique technologique en cours.
LTA : Le monde entier célèbre la femme ce mercredi 8 mars. Que représente cet événement pour vous ?
Cina Lawson : La journée de la femme est une journée très symbolique
pour moi. Vous savez au Togo, la femme a toujours représenté un modèle
d'émancipation et de leadership notamment avec les Nanas Benz symbole de
l'économie traditionnelle et d'entrepreneuriat par excellence. J'ai
beaucoup admiré ces femmes, business women du commerce de pagnes
togolais possédant de belles Mercedes. Aujourd'hui, le chemin continue
avec l'économie numérique et j'entends bien désormais promouvoir les
Nanas Tech qui œuvrent dans les nouvelles technologies avec les
applications mobiles, le commerce en ligne ou encore le Mobile Banking.
Vous avez un brillant parcours tant académique que professionnel.
Comment arrive-t-on en tant que femme à braver les « obstacles » liés au
genre dans un monde comme la technologie encore dominé en Afrique par
la gente masculine ?
Nous avons l'impression parfois et c'est ce que la société veut faire
croire aux femmes, qu'il existe des domaines qui sont réservés aux
hommes. Par exemple, les technologies de l'information et de la
communication.
Le numérique, les nouvelles technologies, le mobile et l'Internet
contribuent directement à l'émancipation des femmes. Ces outils offrent
aux femmes des opportunités incroyables de communiquer, de trouver et
partager des informations, d'interagir, de collaborer, surtout, de faire
entendre leur voix.
Vous êtes aussi une grande militante des droits des femmes. Pensez-vous
que l'identité de la femme africaine n'est pas assez valorisée ?
Historiquement la femme africaine est en charge du foyer, elle est une
épouse et une mère. Il n'est pas évident d'arriver à concilier ces
devoirs avec une activité professionnelle de haut niveau, surtout où
l'accès à l'éducation ainsi qu'à une profession valorisante sont souvent
limités à la gente masculine.
Ces préjugés sont frustrants parce qu'en Afrique, les femmes sont des
acteurs économiques très dynamiques. Par exemple, lorsque nous avons
initié, avec le ministère de l'Agriculture, le Projet Agri PME (PME:
porte-monnaie électronique) qui nous a permis de distribuer des
subventions pour acheter des e-frais en utilisant le paiement mobile, en
recensant plus de 100 000 agriculteurs, nous nous sommes rendus compte
que 52% d'entre eux étaient des femmes.. Ce genre d'initiatives nous
permet de valoriser la collecte systématique d'informations objectives
notamment dans le secteur agricole et de montrer l'importance des femmes
dans les activités génératrices de revenus.
L'Afrique aujourd'hui est en pleine ébullition technologique et
économique. Quelle place la femme peut-elle occuper dans cette dynamique
selon vous ?
L'Afrique est le continent qui enregistre l'un de taux de croissance les
plus élevés au monde. Il est indéniable que l'autonomisation des femmes
soit essentielle pour assurer le développement économique et social.
En effet, il a été démontré que les femmes seraient plus efficaces que
les hommes dans l'exécution et la prise de décisions. Et ce n'est pas
tout, à l'heure actuelle, plus de 40 % de la main-d'oeuvre mondiale et
le tiers des propriétaires d'entreprise sont des femmes. La gente
féminine dispose donc d'un potentiel certain pour investir les postes à
responsabilité et contribuer au développement économique de leur pays.
La technologie est l'un des outils nécessaires pour soutenir leur
éducation et contribuer à leur autonomisation économique.
Le Togo a récemment adhéré au protocole d'Abidjan sur le Free Roaming
qui devrait être opérationnel dès fin mars. Est-ce une avancée
significative pour votre agenda ?
En effet, le 03 janvier dernier, j'ai signé en compagnie du Directeur
Général de l'Autorité de Règlementation des secteurs des Postes et des
Télécommunications (ART&P), le protocole d'accord à l'initiative du «
free roaming » pour le Togo. C'est une avancée significative car elle
vise à faciliter la mobilité des populations à travers les
télécommunications en réduisant les coûts de communication lorsque l'on,
se trouve dans la zone des Etats membres et favorise la cohabitation et
la promotion d'un marché commun. Pour le moment cette mesure concerne
le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Burkina-Faso, le Mali, la Guinée
Conakry et le Sierra Leone.
Le Togo est devenu très actif sur le plan numérique avec notamment des
programmes réguliers destinés aux entreprises ou visant à démocratiser
l'outil technologique auprès non seulement du gouvernement, de la
population togolaise (le wifi public notamment), mais aussi auprès des
jeunes entrepreneurs (incubation de startup, ...). Comment voyez-vous
votre pays sur le plan numérique dans 10 ans ?
Le numérique s'est imposé comme étant un puissant vecteur de croissance
économique. C'est pour cela que le Togo entend pleinement exploiter les
possibilités offertes par cette technologie, en la mettant au service de
la population.
Notre ambition est qu'à l'horizon 2030, le Togo puisse être en mesure
d'offrir à la population, les moyens de s'approprier les plus importants
leviers numériques de croissance existants. Je veux que la population
Togolaise soit formée et puisse avoir pleinement accès à l'ensemble des
outils numériques pour qu'ils soient entièrement intégrés dans son
quotidien. C'est pourquoi, nous nous attelons à faire en sorte qu'aucun
togolais ne soit à plus de 5 km d'un point d'accès Internet. C'est
pourquoi nous soutenons les initiatives de mises en place de hostpot
wifi des opérateurs sur tout le territoire.
En 2030, je souhaite que les objets connectés, l'intelligence
artificielle, le big data, etc. soient exploités et nous entourent même
sur le continent africain. Idéalement, il nous faudrait même pouvoir
assurer une production numérique locale avec du contenu immatériel et
des équipements numériques de qualité pour s'ériger en tant que pôle
numérique innovant à l'international.
Pour cela, il existe quatre secteurs stratégiques à renforcer à moyen
terme. Il y a en priorité l'éducation en favorisant l'intégration et
l'assimilation de l'utilisation des TIC à tous les niveaux du cursus
scolaire et universitaire. En ce sens le projet ENT (Environnement
Numérique de Travail) consiste à mettre en place un intranet au sein des
établissements scolaires pour faciliter la circulation de l'information
administrative et pédagogique. C'est-à-dire que des outils numériques
de gestion de la vie scolaire et des ressources pédagogiques en ligne
sont mises à disposition de l'administration scolaire, des enseignants
et des élèves. Ce projet comprend également un pan de formation destiné
aux utilisateurs afin de maîtriser au mieux les ressources mises à
disposition.
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