Saturday, November 23, 2013
TOGO L'Hôpital américain : le palace des people et du business, combien ça coute aux togolais ?
L'Hôpital américain : le palace des people et du business, combien ça coute aux togolais ?
Par Sophie Des Deserts
Michael Jackson, Zidane, DSK, Vanessa Paradis… En toute discrétion, les stars se font soigner à Neuilly dans un luxe inouï.
Ses pieds saignaient à force d'avoir trop dansé. Ce soir-là, au Ritz, Michael Jackson gémissait de douleur. Il était recroquevillé dans son lit, petit enfant larmoyant dans la soie, sous le regard d'une armada désarmée : manager, chauffeur, coiffeur, maquilleur et autres gardes du corps. Dodi Al-Fayed, fils du propriétaire du palace, fut appelé en urgence. "Bambi" appréhendait par-dessus tout la souffrance. Il voulait ne rien voir, ne rien savoir, surtout ne pas avoir conscience. Qu'on l'endorme une semaine, le temps de panser ses blessures et de remonter sur scène "Ne t'inquiète pas, dit Al-Fayed, je connais un endroit pour toi. Là-bas, ils font des miracles." Et il appela l'Hôpital américain.
Picasso, Kadhafi, Johnny, Zidane, DSK…
Combien de célébrités s'en sont-elles remises à lui ? Jadis Picasso, Rock Hudson, Yasser Arafat, Kadhafi, Kessel, Brassens, Truffaut, Sagan, Mitterrand... Aujourd'hui Johnny, Zidane, DSK, Pasqua, Balkany, Arnault, Pinault, Dassault, Claire Chazal, Adriana Karembeu, Valérie Pécresse, PPDA... Combien, d'Onassis à Barbara, ont fini par mourir ici ? Combien, de Nathalie Baye à Marion Cotillard, y ont donné la vie ?
L'American Hospital of Paris (AHP), hospital des stars, star des hôpitaux. Singulièrement absent de tous les classements, il trône incognito dans l'imaginaire de la France d'en haut. Jamais un établissement de soins n'a été si renommé, et si mal connu. Il faut montrer patte blanche et patienter des mois avant d'être reçu par la responsable de la communication. Le secret est au cœur du succès et de la culture maison. Derrière ces bâtiments calmes, nichés au fin fond de Neuilly-sur-Seine, entre les arbres et les immeubles chics du boulevard du Château, prospère le temple de la "médecine business". Le symbole éclatant d'une santé à deux vitesses.
Mercedes Maybach et Porsche Cayenne
Bagagistes et voituriers devisent, à l'entrée, entre les Mercedes Maybach et les Porsche Cayenne. Une lourde porte à tambour s'ouvre sur un hall baigné de lumière. Tapis central, bouquets géants d'orchidées, standardistes pomponnées, une odeur de poudre et de parfum sucré. Aux murs, des photos sépia des pionniers, dignes docteurs et nurses en uniforme, prises durant la Première Guerre mondiale, rappellent l'illustre passé. Le temps où "l'Américain" l'était encore.
Aujourd'hui deux tiers des patients sont français, le reste vient du monde entier. Il y a, ce matin frais, de la fourrure, des moustaches orientales, des mallettes africaines, des importants en peignoirs blancs, "le Figaro" sous le bras, mais aussi de frêles mamies et des mères de famille. Qu'ils viennent pour un coup de blues, une carie, une cataracte ou une chimiothérapie, l'attente est réduite au minimum et les examens, radio, scanner, IRM... sont réalisés en un temps record.
"On accepte la carte Gold, pas la carte Vitale"
A "l'Américain", vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le patient est roi. A la seule condition d'avoir une excellente mutuelle et/ou un compte bancaire bien garni. Les tarifs sont cinq fois supérieurs, en moyenne, à ceux de la Sécu. "On accepte la carte Gold, pas la carte Vitale", dit-on, ici, sur le ton de la plaisanterie. L'établissement, excepté pour quelques services (diagnostic prénatal, dialyse, chimiothérapie...), est - cas unique en France - non conventionné. Seuls les ressortissants américains désargentés peuvent être soignés gratuitement. Ils sont suffisamment rares pour que l'on s'en souvienne : "L'an dernier, s'amuse une infirmière, on a eu un SDF californien mystérieusement échoué à Paris et un journaliste new-yorkais fauché qui avait besoin d'être dialysé pendant un mois. La direction était folle, nous, nous avons pris un malin plaisir à les bichonner."
D'ordinaire, pour chaque hospitalisation, une caution de 6.000 euros est requise. La facture grimpe souvent vite, surtout si l'on choisit l'une des suites du 5e étage avec terrasse en teck et vue sur la tour Eifel. Elles font, paraît-il, un tabac. L'un des fils Hariri, Saad, ancien président du Conseil libanais, récemment hospitalisé pour une fracture, en sait quelque chose : il a été doublé par des quinquas moscovites, venues se refaire une plastique de jeune fille. En août, c'était une princesse saoudienne en fin de vie, proche du souverain, qui a loué tout le 5e étage pour elle, son trône, ses médecins, sa famille, son personnel, avant de s'éteindre sous des brassées de lys. Facture : 980.000 euros.
Room service, manucure, coiffeur, repas casher, halal…
Pour les étrangers fortunés, princes du Golfe, chefs d'Etat africains, businessmen asiatiques, qui n'ont pas de sécurité sociale, le séjour ne coûterait pas plus cher que dans les établissements de l'Assistance publique. Mais les prestations, elles, sont bien différentes. Room service, groom en uniforme, petits déjeuners avec jus de fruits pressés, repas végétariens, casher, halal... servis sous cloche. Salon de thé, cafétéria, et même un restaurant, le Garden, donnant sur une terrasse très prisée aux beaux jours. Manucure, coiffeur, soins du visage... "La douleur est moins triste à l'Américain", poétise le docteur Patrick Bui, responsable du pôle de chirurgie plastique.
Certains patients en oublient même qu'ils sont à l'hôpital. "Ils se croient dans un spa, dit une aide-soignante. Ils mettent leurs chaussures à cirer dans le couloir, sonnent au beau milieu de la nuit pour qu'on leur serve un magnum de champagne !" Jamel Debbouze y a vu naître ses deux enfants : "Je n'imaginais pas qu'en médecine un tel luxe existe. Tout le monde est aux petits oignons et tout coûte la peau des fesses, le moindre potage est à 15 euros... Ca doit rassurer les riches mais moi, à la vérité, ça m'a un peu foutu les boules." Il lui est arrivé d'en rire avec sa complice, Florence Foresti qui, elle aussi, a accouché dans les murs, avant d'écrire son célèbre "Mother Fucker".
Paparazzis
Pourquoi alors choisir l'Américain ? "Parce qu'on nous avait dit qu'ici on aurait la paix", confesse Jamel. La procédure Alias permet à chaque patient d'être hospitalisé sous un nom d'emprunt. Le personnel est tenu à la discrétion. Cela n'empêche pas certains employés de succomber aux petits billets des paparazzis. Ici, tout se raconte : telle ministre de droite entrée pour une infection vaginale, tel autre, de gauche, pour un lifting... Vanessa Paradis, maussade, en lunettes noires, Mimie Mathy, toujours chic fille, Philippe Starck chantant "l'Internationale" dans les couloirs, et Johnny, de retour de Saint-Barth, comme un lion en cage. Tout se sait, mais généralement les photographes se tiennent sages et ne shootent qu'à la sortie de l'hôpital. Sauf quand un Delarue, à peine remis d'une chimiothérapie, les convie, pour "Match" et "Gala", dans sa chambre et demande au personnel une haie d'honneur, pour immortaliser sa sortie.
Toutes ces "peopleries" donneraient presque la nausée à John Riggs. Veste en tweed, français impeccable, manières de gentleman, l'ex-avocat d'affaires préside le board of governors, sorte de conseil d'administration de l'Américain. Rien ne se fait sans l'accord de ce club, ultra-sélect, composé de 40 bénévoles, le plus souvent riches retraités, ex-banquiers, businessmen français ou américains. "Nous sommes tous très attachés aux liens entre les deux pays, sourit John Riggs. Et nous partageons cette philosophie très américaine du give back, chacun se doit de rendre à la communauté en donnant de son temps, de son argent." Etrange conception d'une charité tournée, ici, vers les plus fortunés.
4.000 donateurs
Les governors comme les 4.000 donateurs de l'hôpital, semblent avant tout attachés à l'idée de perpétuer cette médecine exclusive, entre soi. Ils se retrouvent dans de petites sauteries new-yorkaises ou parisiennes, dans le restaurant de l'ami Ralph Lauren, dans les cercles et les demeures des uns et des autres. On porte un toast aux plus généreux, Bernard Arnault (qui a financé le TEP-scanner) et Vincent Bolloré (parrain de l'ambulatoire), le cheikh d'Oman, Saud Bahwan, aujourd'hui décédé, Liliane Bettencourt, une exquise et fidèle pensionnaire, qui, avant sa mise sous tutelle, donnait parfois ses interviews sur la terrasse du Garden, sans oublier of course Christiane Guerlain...
L'épouse du parfumeur, infatigable ambassadrice de l'hôpital, de ventes aux enchères en galas de charité, dirige depuis un demi-siècle les célèbres pink ladies, ces bénévoles en blouses roses qui passent dans les chambres apporter de la lecture et faire un brin de causette. A tous ces vénérables mécènes, l'hôpital dédie des plaques "Our deepest recognition..." accrochées partout dans le hall et les couloirs. Michel-David Weill, ancien dirigeant de la banque Lazard et beau-père malheureux d'Edouard Stern, y est sensible : "Cet hôpital est un peu sentimental pour moi, mon grand-père y est mort, mon père y a été soigné. Et puis, c'est important de donner à un établissement qui fonctionne bien."
Grands pontes parisiens
La réputation, c'est le nerf de la guerre. Les governors le savent et mettent un point d'honneur à recruter les meilleurs. Jadis, tous les grands pontes parisiens, une fois terminée leur journée à l'hôpital public, rejoignaient l'Américain, afin d'arrondir leurs fins de mois. "Ils débarquaient tous vers 18 heures. On aurait dit une séance de l'Académie de Médecine", se souvient le neuropsychiatre Jean-Michel Oughourlian. De telles pratiques étant à présent interdites, les governors cherchent à s'attacher d'anciens chefs de clinique et des professeurs en retraite.
Dernière embauche remarquable, Jean-Marie Desmonts, ex-doyen et professeur d'anesthésie-réanimation de l'hôpital Bichat, qui fut, durant toute sa carrière... opposé au secteur privé. A 70 ans, remercié par l'Assistance publique, il a quitté la porte de Saint-Ouen pour Neuilly-sur-Seine :"Il y a des wagons de première classe et de seconde classe, soupire-t-il, un peu gêné. Ca ne me pose pas de problème à partir du moment où tous les trains arrivent à l'heure et dès lors qu'il n'y a pas de malades sur le carreau. Et puis certains praticiens hospitaliers prennent, en consultation privée, des tarifs qui ne sont guère éloignés des nôtres."
C'est lui qui désormais veille sur l'énorme communauté médicale : 400 médecins recrutés, après période d'essai, sur leurs titres et publications, mais aussi, et surtout, grâce à leurs réseaux. Au temple de la médecine business, les blouses blanches doivent d'abord "faire du chiffre". C'est l'objectif fixé il y a une dizaine d'années pour remettre à flot le navire, alors menacé de couler.
"L'obsession de l'argent"
Depuis, la comptabilité est florissante mais la guerre entre médecins impitoyable. Nombre de témoins, chirurgiens, cadres, infirmières... en parlent, de manière évidemment anonyme. Petits bakchichs aux secrétaires, aux traducteurs, à quelques rabatteurs dans les palaces, lutte pour prendre des gardes... tout serait bon, selon eux, pour recruter des malades. Et leur vendre un maximum de prestations. L'hôpital ne se contente pas de demander aux praticiens un loyer de 1.600 euros par mois pour deux demi- journées de consultation par semaine, ils doivent faire tourner la machine, sous peine d'être remerciés.
Alors, ici, les examens médicaux sont parfois prescrits avant même que le malade ait été ausculté. Bilan sanguin et radio quasi systématiques, scanner cérébral au moindre mal de tête, césarienne au moindre doute... "On m'a déjà demandé de faire un électrocardiogramme à un patient qui allait mourir", raconte un infirmier. "La direction tient à jour une liste de ceux qui prescrivent le plus d'examens, explique un praticien de la maison. Ceux qui refusent ce système sont rappelés à l'ordre. L'obsession de l'argent est devenue omniprésente."
Libre aux médecins de fixer leurs honoraires de consultation, de 120 à 300 euros, voire davantage pour les plus gourmands. Et même de fermer les yeux lorsqu'un milliardaire, cousin de Ben Ali, sœur de Ben Laden, dictateur africain... débarque avec une valise de billets. Les plus chanceux peuvent même décrocher un poste de conseiller santé, mission proposée par le président tchadien à son médecin neuilléen préféré. Autrefois, un autre médecin partait bien en vacances, avec femme et enfants, à Skorpios chez Christina Onassis.
4.000 euros le check-up dans la suite de Liliane Bettencourt
A l'Américain, les médecins donnent tout, leur numéro de portable, leurs nuits, leurs week-ends s'il le faut. Parfois, ils vont jusqu'à enlever eux-mêmes les points de suture, poser des sondes urinaires, faire les pansements... "Pour palper des sous, certains sont sans limite, soupirent nombre d'infirmières, lasses d'être cantonnées à des tâches subalternes malgré des salaires légèrement au-dessus de la moyenne. Ils passent le dimanche matin dans les chambres dire : "Bonjour, vous avez bien dormi ?" et facturent 150 euros. "
La démesure, c'est cela, justement, qui plaît à Thierry Ardisson. "Avoir une armée de médecins penchés sur chaque centimètre de votre peau. C'est magique, c'est Molière !" Comme nombre de cadres et de dirigeants, l'animateur s'offre chaque année un week-end de check-up à l'Américain. Dans l'hôpital qui, petit, le faisait tant rêver, choyé dans la suite habituellement réservée à Liliane Bettencourt, il est enfin rassuré sur sa santé. A ses yeux, le prix, près de 4.000 euros, n'a guère d'importance.
Mais de plus en plus de patients, eux, se plaignent de facturations abusives. Il arrive à la direction d'accorder des ristournes ou d'appeler mollement quelques médecins à la modération. La cuisine interne ne l'intéresse guère, sauf quand la réputation de l'Américain est en jeu, notamment en cas d'erreurs médicales. Elles existent, comme ailleurs. "Mais la sécurité, la qualité des soins est notre priorité absolue", insiste John Crawford, l'un des illustres governors. "Un praticien ayant commis une faute sérieuse peut être sanctionné, par suspension immédiate ou par non-renouvellement de son accréditation, qui est réexaminée tous les deux ans."
Une sale affaire tenue secrète
Les médecins savent qu'ici ils n'ont pas droit à l'erreur, sans doute encore moins qu'ailleurs. L'an dernier, un sexagénaire, proche du gouvernement mauritanien, est décédé après une opération du cancer du côlon. C'est le professeur- député Bernard Debré en personne qui a débarqué avec un huissier pour récupérer le dossier médical :"On a découvert que l'indication n'était pas bonne, et que le chirurgien avait déjà été condamné par le passé." Depuis, celui-ci a été poliment congédié, le procès est en cours. Sale affaire, jusqu'ici tenue secrète.
Généralement, l'Américain réussit à s'éviter toute mauvaise publicité. Mais, en décembre dernier, il s'est retrouvé dans "le Monde". Motif : les primes accordées aux cadres de direction, notamment les 69.000 euros du PDG. Un tract intitulé "Joyeux Noël", distribué à tous les salariés, a mis le feu aux poudres.
Shocking pour les governors, qui ont aussitôt porté plainte. Une grève avec sit-in dans l'entrée a éclaté. Cette fois, François Sarkozy, le frère médecin du président, n'a pas été appelé pour jouer les médiateurs, comme il l'avait fait dans le passé, au titre de consultant, lors d'un confit sur les RTT. L'incendie s'est éteint grâce à la distribution d'une prime exceptionnelle. Au Garden, les jonquilles sont là, les pink ladies ont le sourire, les malades arriveront bientôt au volant de leurs décapotables. Business as usual sous le soleil de Neuilly-sur-Seine.
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